Imaginez : des milliards de livres sterling qui s’envolent en fumée pendant que le pays lutte pour sa survie face à un virus invisible. C’est la réalité brutale que révèle un rapport indépendant commandé par le gouvernement britannique actuel. Le coût total de la fraude et des erreurs liées aux programmes d’urgence Covid atteint 10,9 milliards de livres, soit environ 12,4 milliards d’euros. Un chiffre qui donne le vertige.
Un rapport qui met en lumière des failles béantes
Le document, rédigé par Tom Hayhoe, commissaire chargé de la lutte contre la fraude liée au Covid, ne mâche pas ses mots. La réponse du gouvernement de l’époque, dirigé par les conservateurs, a nécessité des dépenses publiques colossales, exposant l’État à un risque énorme de fraude et d’erreur. La plupart des organismes publics se sont retrouvés totalement dépassés par l’ampleur et l’urgence de la situation.
Les mesures de protection habituelles contre la fraude se sont révélées largement insuffisantes. Le temps manquait, les contrôles ont été allégés, parfois carrément supprimés. Résultat : des sommes astronomiques ont disparu dans la nature.
Les deux grands postes de perte
Le rapport identifie clairement les domaines les plus touchés. D’abord, les commandes massives d’équipements de protection individuelle (EPI) : masques, gants, blouses, visières… Le rythme effréné des achats a littéralement submergé la chaîne d’approvisionnement. Des fournisseurs douteux ont pu s’infiltrer, proposer des prix exorbitants ou livrer du matériel non conforme, voire inexistant.
Ensuite, les aides aux entreprises, notamment les prêts garantis par l’État. Le système reposait largement sur l’auto-certification des demandeurs. Les vérifications étaient minimales, voire inexistantes dans l’urgence. Des sociétés fictives ont été créées en quelques heures pour toucher des dizaines, voire des centaines de milliers de livres.
« Les prêts reposaient sur l’auto-certification avec des vérifications inadéquates pour prévenir les abus »
Extrait du rapport de Tom Hayhoe
Combien a-t-on réellement récupéré ?
Sur les 10,9 milliards de livres estimés perdus, seulement 1,8 milliard ont pu être récupérés à ce jour. Le reste ? Une grande partie est considérée comme irrécupérable. Des fraudeurs ont transféré l’argent à l’étranger, fermé leurs comptes, disparu dans la nature. D’autres ont simplement dilapidé les fonds.
Ce constat est d’autant plus douloureux que le Royaume-Uni a payé un tribut humain extrêmement lourd à la pandémie : environ 226 000 décès officiellement recensés, l’un des bilans les plus élevés en Europe.
10,9 milliards de livres perdus
– 1,8 milliard récupérés
– 9,1 milliards probablement perdus à jamais
Un confinement trop tardif qui a aggravé la crise
Le rapport sur la fraude n’est pas le seul à pointer les dysfonctionnements. Une enquête publique distincte, publiée en novembre dernier, a conclu que 23 000 décès auraient pu être évités en Angleterre si le premier confinement avait été déclenché plus tôt, dès mars 2020 plutôt qu’à la fin du mois.
Les autorités, et en particulier l’exécutif dirigé par Boris Johnson, n’ont pas pris la menace au sérieux assez rapidement. Le virus circulait déjà largement dans le pays quand les mesures strictes ont enfin été imposées. Ce retard a non seulement coûté des vies, mais a aussi forcé le gouvernement à injecter encore plus d’argent public dans l’urgence, augmentant mécaniquement les risques de fraude.
Pourquoi une telle vulnérabilité ?
La vitesse était l’ennemie de la rigueur. Pour sauver des vies et l’économie, il fallait agir vite, très vite. Les procédures habituelles d’appels d’offres, de vérification d’identité, de contrôle financier ont été court-circuitées. Certains y ont vu une opportunité en or.
Des entreprises créées le jour même ont obtenu des contrats à plusieurs millions. Des individus ont multiplié les demandes de prêts sous différentes identités. Le système, conçu pour la paix, n’était pas armé pour une guerre contre un ennemi invisible et contre la cupidité humaine.
Les leçons à tirer pour l’avenir
Ce rapport n’est pas seulement un constat d’échec. Il est aussi un avertissement. Dans une prochaine crise majeure – sanitaire, climatique, géopolitique – le Royaume-Uni (et sans doute d’autres pays) risque de se retrouver face aux mêmes dilemmes : rapidité ou sécurité ? Sauver des vies ou protéger l’argent public ?
Des systèmes de contrôle plus robustes, des bases de données croisées en temps réel, des algorithmes de détection de fraude, une meilleure coordination entre administrations… Tout cela existe déjà en partie. Mais la pression politique et médiatique pour « agir vite » sera toujours immense.
Le gouvernement travailliste actuel, qui a commandé ce rapport, veut manifestement tirer les enseignements du passé. Reste à savoir si les solutions proposées seront mises en œuvre avant la prochaine crise.
Un lourd héritage pour les finances publiques
Ces 10,9 milliards de livres ne sont pas qu’un chiffre abstrait. C’est de l’argent qui manque pour les écoles, les hôpitaux, les retraites, les infrastructures. Chaque livre perdue dans la fraude est une livre qui ne servira pas à améliorer la vie des Britanniques d’aujourd’hui et de demain.
Et pendant ce temps, les contribuables continuent de rembourser la dette Covid, qui s’élève à plusieurs centaines de milliards. Une double peine : payer pour la crise, et payer pour les abus commis pendant la crise.
Le rapport de Tom Hayhoe, aussi accablant soit-il, a au moins le mérite de la transparence. Il rappelle que derrière les grandes déclarations d’urgence nationale, il y a toujours des failles humaines, des intérêts privés, et parfois une cupidité sans limite.
La pandémie est derrière nous. Mais ses conséquences financières, elles, nous accompagneront encore longtemps.









