Gustave Flaubert, géant de la littérature française, reste une énigme politique. Anarchiste de droite ? Libéral enragé ? Républicain modéré ? Difficile de classer cet écrivain qui refusa toute littérature engagée. Un livre passionnant, « Flaubert politique », restitue les complexités de cet auteur tiraillé entre l’éloge de la liberté individuelle et le mépris de la médiocrité démocratique émergeant au XIXe siècle.
Flaubert, un peintre de la vie humaine
Dans ses lettres à Louise Colet, Flaubert martèle son credo artistique : « L’art est une représentation, nous ne devons penser qu’à représenter ». Hors de question pour lui de mettre sa plume au service d’une cause ou d’une idéologie. Ses romans ne sont pas des manifestes pour changer le monde, mais des fresques subtiles dépeignant la vie dans toute sa complexité.
Pour autant, il serait réducteur d’en faire un esthète détaché des réalités. Sa correspondance fourmille de réflexions politiques, entre dégoût des « épiciers » embourgeoisés et nostalgie d’un passé aristocratique idéalisé. Flaubert voit d’un très mauvais œil la montée en puissance des masses, synonyme pour lui de nivellement par le bas et de règne de la bêtise.
Un contempteur de la démocratie
Dans une lettre à George Sand, il vitupère contre le suffrage universel, « la honte de l’esprit humain ». Cette aversion pour la démocratie percole dans certains de ses personnages caricaturaux, comme le pharmacien Homais dans Madame Bovary, incarnation de la sottise satisfaite des classes moyennes.
La foule, le troupeau sera toujours haïssable. Il n’y a d’important qu’un petit groupe d’esprits, toujours les mêmes, et qui se repassent le flambeau.
Gustave Flaubert, lettre à George Sand
Un défenseur de la liberté individuelle
Mais Flaubert n’est pas pour autant un partisan de l’autoritarisme. Ce qu’il défend bec et ongles, c’est la liberté de l’individu face aux tyrannies de la foule. Son idéal ? Un « gouvernement de mandarins » éclairé, préservant l’autonomie de la pensée et de l’art des diktats du nombre.
En ce sens, Flaubert apparaît comme un libéral old school, méfiant envers la démocratie de masse mais viscéralement attaché à l’indépendance de l’esprit. Un équilibriste idéologique, dont les contradictions réfléchissent celles de son époque, tiraillée entre aspirations démocratiques et angoisse du déclin.
Un précurseur de la “révolte des élites” ?
Avec son élitisme assumé et son dégoût du conformisme bourgeois, Flaubert semble annoncer certains penseurs du XXe siècle, de Nietzsche à Ortega y Gasset, théoriciens d’une “révolte des élites” contre la massification démocratique. Une filiation à nuancer cependant, tant l’auteur de Salammbô répugnait à tout système.
Plus qu’un penseur politique, Flaubert reste avant tout un immense écrivain, qui a su comme nul autre radiographier les tourments de l’âme humaine. Ses personnages torturés, d’Emma Bovary à Frédéric Moreau, en quête éperdue d’absolu dans un monde médiocre, portent la trace de ses propres déchirements intimes. Là réside peut-être la clé de son génie intemporel.