Imaginez payer chaque année entre 50 et 70 milliards d’euros pour importer du pétrole et du gaz que l’on brûle ensuite dans des moteurs ou des chaudières… tout en disposant déjà de l’électricité la plus propre et la moins chère d’Europe. Absurde ? C’est pourtant la réalité française actuelle.
Un signal d’alarme signé RTE
Le gestionnaire du réseau haute tension vient de publier son bilan prévisionnel 2025. Le message est clair : la France doit changer de vitesse et électrifier massivement ses usages si elle veut tenir ses promesses climatiques, retrouver une industrie forte et réduire sa facture énergétique colossale.
Sans cette accélération, le pays s’enferme dans une trajectoire lente où les objectifs de réduction d’émissions ne seront pas atteints et où la part de l’industrie dans le PIB continuera de fondre.
Un avantage unique en Europe gaspillé
La France produit déjà 95 % de son électricité sans carbone, essentiellement grâce au nucléaire et à l’hydroélectricité. Résultat : des prix de gros parmi les plus bas du continent. Pourtant, seulement 25 % de l’énergie finale consommée dans le pays est électrique. Le reste ? Principalement des hydrocarbures importés.
Cette situation crée un paradoxe économique brutal : nous exportons notre électricité décarbonée bon marché pour importer du pétrole et du gaz hors de prix. Chaque année, ce déséquilibre creuse un trou de 50 à 70 milliards d’euros dans la balance commerciale – jusqu’à 120 milliards lors de la crise de 2022.
« La pertinence d’une électrification rapide du pays pour réduire ses dépendances aux fossiles importés, améliorer sa balance commerciale et permettre sa décarbonation rapide est attestée »
Rapport RTE 2025
Souveraineté, climat et emplois : même combat
Le directeur stratégie de RTE, Thomas Veyrenc, le dit sans détour : remplacer les fossiles par de l’électricité décarbonée dépasse largement la seule question climatique. C’est avant tout un enjeu de souveraineté.
Moins dépendre de la Russie, du Qatar, de l’Arabie saoudite ou même des États-Unis pour notre énergie, c’est retrouver des marges de manœuvre stratégique et économique. Chaque voiture électrique ou pompe à chaleur installée en France fait baisser la facture pétro-gazière du pays.
Et les projets industriels ne manquent pas : batteries, véhicules électriques, hydrogène vert, data centers… Tous ces secteurs attendent une électricité abondante et compétitive pour s’implanter ou se développer.
Deux jambes pour avancer : nucléaire + renouvelables
Le débat stérile « nucléaire contre renouvelables » agite la sphère politique depuis des années. Pour RTE, la réponse est limpide : il faut les deux.
Xavier Piechaczyk, président de RTE, résume parfaitement l’idée :
« Le système énergétique de demain devra marcher sur deux jambes, les renouvelables et le nucléaire. Il n’y aurait aucun intérêt à se priver de l’une maintenant, au risque de ne plus pouvoir avancer. »
Concrètement, le nucléaire assure la base pilotable et massive, les renouvelables apportent de la flexibilité et du volume supplémentaire à moindre coût. Priver le pays de l’une ou l’autre reviendrait à scier la branche sur laquelle nous sommes assis.
Surcapacité temporaire : une chance à saisir
Paradoxalement, la France va connaître dans les prochaines années une période de surcapacité électrique (jusqu’en 2027-2028). Conséquence du ralentissement de la demande après la crise énergétique et des retards dans l’électrification.
Cette situation offre une fenêtre de tir exceptionnelle : nous avons l’électricité disponible immédiatement pour lancer en masse les pompes à chaleur, les bornes de recharge, les procédés industriels électriques. Il suffit de brancher.
Alternative perdante : ralentir le développement des renouvelables pour « absorber » la surcapacité.
Solution gagnante : profiter de cette électricité abondante pour électrifier à marche forcée transports, chauffage et industrie.
Les secteurs où tout reste à faire
Le retard est particulièrement criant dans trois domaines.
- Chauffage des bâtiments : 60 % des logements individuels encore au fioul ou au gaz.
- Transports : moins de 20 % des ventes de voitures neuves sont électriques ou hybrides rechargeables.
- Industrie : de nombreux procédés (fours, vapeur) fonctionnent encore aux combustibles fossiles alors qu’une électrification directe ou via hydrogène vert est possible.
L’objectif officiel : faire passer la part des hydrocarbures dans la consommation finale d’énergie de 60 % aujourd’hui à 30-35 % en 2035. Avec le rythme actuel, impossible.
Un calendrier politique sous pression
Le ministère de l’Industrie et de l’Énergie a réagi immédiatement au rapport RTE. Il promet des décisions « d’ici Noël » sur une stratégie d’électrification complémentaire à la future programmation pluriannuelle de l’énergie (PPE), déjà retardée de plus de deux ans.
Cette séquence intervient dans un contexte politique tendu : les oppositions, notamment à l’extrême droite, critiquent le coût des renouvelables et leur intermittence. Mais pour RTE, le coût du non-choix serait bien supérieur.
Et si on fait quoi concrètement ?
Quelques pistes évoquées ou sous-jacentes dans le rapport :
- Simplifier massivement les aides et les démarches pour changer de chaudière ou acheter un véhicule électrique.
- Déployer enfin les infrastructures de recharge sur tout le territoire, y compris en milieu rural.
- Inciter fiscalement les industriels à électrifier leurs procédés (exonérations, contrats longs à prix stables).
- Renforcer les objectifs d’installation de pompes à chaleur et de bornes dans les textes réglementaires.
- Communiquer enfin clairement sur l’avantage comparatif français en matière d’électricité décarbonée.
Le temps presse. Chaque année perdue, ce sont des milliards partis en fumée (littéralement) et des usines qui s’installent ailleurs.
La France a entre les mains une carte maîtresse : une électricité abondante, pilotable et presque entièrement décarbonée. Il ne reste plus qu’à jouer.
La question n’est plus de savoir si nous allons électrifier.
La question est de savoir si nous allons le faire assez vite
pour rester un grand pays industriel et souverain.
Le compte à rebours est lancé. Réponse attendue avant les fêtes de fin d’année.









