Imaginez un instant : vous placez vos économies dans ce qu’on vous présente comme l’actif le plus sûr du monde crypto, un « stablecoin » censé valoir toujours un dollar. Et du jour au lendemain, tout s’évapore. 40 milliards de dollars réduits à néant en 48 heures. C’est exactement ce qu’ont vécu des centaines de milliers de personnes en mai 2022.
Jeudi, à New York, l’homme derrière ce désastre a enfin été jugé. Do Kwon, 34 ans, ancien golden boy de la Silicon Valley, vient d’être condamné à quinze ans de prison ferme.
De Stanford à la cellule : la trajectoire fulgurante d’un paria
Do Kwon avait tout du héros tech des années 2020. Diplômé de la prestigieuse université Stanford, passages chez Apple et Microsoft, charisme à revendre. En 2018, il cofonde Terraform Labs à Singapour et lance TerraUSD (UST), un stablecoin dit « algorithmique ».
Son argument de vente ? Contrairement aux autres stablecoins (Tether, USDC) qui détiennent réellement des dollars ou des bons du Trésor en réserve, Terra repose sur un mécanisme automatique : un arbitrage entre UST et sa cryptomonnaie jumelle Luna. En théorie, l’équilibre est parfait. En pratique…
Mai 2022 : les 48 heures qui ont fait trembler la cryptosphère
Le 7 mai 2022, UST commence à perdre son ancrage au dollar. Quelques cents de moins, puis quelques dizaines. Les investisseurs flairent le danger et vendent massivement. L’algorithme réagit en créant des milliards de Luna pour racheter UST… ce qui perd encore plus de valeur.
C’est la spirale de la mort. En moins de deux jours, Terra passe de 118 dollars à 0,0001 dollar et Luna de 119 dollars à pratiquement zéro. Plus de 40 milliards de dollars s’évaporent. Des retraités coréens perdent leurs économies de toute une vie, des jeunes Américains leurs études, des familles entières se retrouvent ruinées.
« J’ai investi environ 10 000 dollars en pensant que c’était un actif stable et sûr. Aujourd’hui, il ne me reste que quelques centimes. Cette perte m’a plongé dans une profonde dépression et m’a fait perdre mon emploi. »
Alessandro Zuccaro, victime italienne
Une cavale digne d’un thriller hollywoodien
Dès l’effondrement, Do Kwon disparaît. Il quitte la Corée du Sud, puis Singapour. On le retrouve finalement au Monténégro en mars 2023, arrêté à l’aéroport avec un faux passeport costaricain. Son directeur financier est avec lui.
Les États-Unis et la Corée du Sud se disputent son extradition. Washington gagne. Fin 2024, Do Kwon atterrit à New York, menottes aux poignets.
Le procès : entre aveux et indignation
En début d’année 2025, il plaide coupable de complot en vue de fraude et de fraude électronique. Les procureurs demandent au minimum 12 ans, la défense espère cinq. Le juge tranche : quinze ans.
L’acte d’accusation est accablant. Do Kwon aurait :
- Secrètement manipulé le cours de Terra via des bots de trading
- Menti sur l’existence de réserves réelles
- Utilisé l’argent des investisseurs pour s’enrichir personnellement
- Tenté d’acheter une protection politique à l’étranger
Le procureur fédéral Jay Clayton parle de « stratagèmes élaborés » et d’une « campagne de relations publiques trompeuse » pour cacher la vérité.
Les victimes prennent enfin la parole
Pendant l’audience, le juge fait lire des dizaines de témoignages. Des retraités, des étudiants, des parents de famille. Tous racontent la même chose : la confiance trahie, la ruine brutale, les nuits blanches, parfois les idées noires.
Certains ont tout perdu. D’autres ont vu leurs rêves s’effondrer. Un investisseur sud-coréen explique avoir vendu sa maison pour investir dans Terra. Aujourd’hui, il dort chez des amis.
Impact humain réel
Plus de 500 000 personnes directement touchées selon les estimations.
Des cas documentés de dépression grave, de divorces, de suicides.
Des fondations caritatives créées spécialement pour aider les victimes de Terra-Luna.
Et maintenant ? La Corée attend son tour
La condamnation américaine n’est peut-être qu’une étape. Séoul a également lancé des poursuites. Le ministère de la Justice américain a indiqué qu’un transfert en Corée du Sud pourrait être envisagé… mais seulement après qu’il ait purgé au moins 50 % de sa peine aux États-Unis.
Autrement dit : Do Kwon pourrait passer les vingt prochaines années derrière les barreaux, entre New York et Séoul.
Une leçon définitive pour l’industrie crypto ?
Cet effondrement a marqué un tournant. Les régulateurs du monde entier ont durci le ton sur les stablecoins algorithmiques. Plusieurs projets similaires ont été abandonnés. Les investisseurs, eux, restent méfiants.
Mais la question demeure : combien de « Do Kwon » dorment encore dans l’ombre de cette industrie encore jeune et sauvage ?
Car si l’histoire de Terra-Luna nous a appris une chose, c’est que dans la cryptomonnaie, le mot « stable » peut parfois cacher la plus grande des illusions.
Au moment où vous lisez ces lignes, Do Kwon est déjà derrière les barreaux. Mais les cicatrices de mai 2022, elles, sont encore à vif.
