Dans les rues animées de Tbilissi, la capitale géorgienne, une tension palpable s’installe à l’approche des élections locales prévues ce samedi. Ce scrutin, habituellement discret, pourrait devenir le catalyseur d’un nouvel épisode de turbulences dans ce pays du Caucase, déjà secoué par une crise politique profonde. Un an après des élections législatives controversées, marquées par des accusations de fraude et une répression brutale des manifestations, la Géorgie se trouve à un carrefour. La population, divisée entre espoirs d’un avenir européen et craintes d’un retour sous l’influence russe, retient son souffle.
Une Démocratie sous Pression
Depuis octobre 2024, la Géorgie traverse une période d’instabilité sans précédent. Les élections législatives, entachées de soupçons de fraude, ont déclenché une vague de contestations populaires. Le parti au pouvoir, Rêve géorgien, est accusé par ses détracteurs de dériver vers un autoritarisme pro-russe, rompant avec les aspirations européennes d’une large partie de la population. Ce samedi, les élections locales, bien que d’ordinaire secondaires, prennent une dimension symbolique majeure. Elles offrent une première occasion de mesurer l’ampleur du mécontentement populaire et la résilience de l’opposition.
Dans ce contexte, l’opposition, menée par des figures comme le Mouvement national uni (MNU), a décidé de boycotter le scrutin, dénonçant un système électoral biaisé. À leurs côtés, des voix issues de la société civile, comme celle de Paata Burchuladzé, célèbre chanteur d’opéra devenu militant, appellent à une mobilisation massive. Leur objectif ? Exiger une transition politique pacifique et un retour aux principes démocratiques.
“Rêve géorgien détruit notre démocratie et notre avenir européen. Ils doivent partir.”
Levan Baramidzé, architecte à Tbilissi
Un Pays Déchiré entre Deux Visions
Depuis son arrivée au pouvoir en 2012, Rêve géorgien s’est imposé comme une force dominante, promettant initialement une alternative libérale au leadership de Mikheïl Saakachvili, ancien président pro-européen aujourd’hui emprisonné. Cependant, les critiques se sont multipliées, notamment après l’invasion de l’Ukraine par la Russie en 2022. Le parti est accusé d’avoir adopté des mesures répressives inspirées de Moscou, comme la controversée loi sur les agents étrangers et des politiques anti-LGBT, qui ont suscité l’indignation dans un pays traditionnellement hostile à l’influence russe.
Pourtant, Rêve géorgien conserve un soutien notable, particulièrement parmi les générations plus âgées. Selon un récent sondage, environ 35 % de la population approuve encore le parti, qui se présente comme un garant de la stabilité. Certains électeurs, comme Ramin Svanidzé, un retraité de 73 ans, partagent cette vision, accusant des forces extérieures de vouloir entraîner la Géorgie dans un conflit avec la Russie.
“Certaines forces occidentales ont poussé la Géorgie à ouvrir un second front contre la Russie. Notre gouvernement n’a pas cédé.”
Ramin Svanidzé, retraité
Une Opposition sous Pression
Face à un pouvoir déterminé à conserver son emprise, l’opposition géorgienne fait face à des défis colossaux. Depuis l’automne 2024, environ 60 personnes, dont des dirigeants politiques, des journalistes et des militants, ont été emprisonnées pour leur rôle dans les manifestations post-électorales. Des amendes lourdes ont également été imposées à ceux qui ont bloqué les rues, une tactique courante pour exprimer le mécontentement populaire. Cette répression a non seulement affaibli l’opposition organisée, mais aussi semé le doute parmi les citoyens sur l’efficacité des mobilisations.
“Cela fait des mois qu’on descend dans la rue par dizaines de milliers, et rien n’a changé”, déplore Guliko Archvadzé, une institutrice de 50 ans. Pour beaucoup, la situation semble désespérée, mais d’autres, comme Levan Baramidzé, veulent croire en un sursaut populaire. Les manifestations prévues ce samedi pourraient ainsi devenir un baromètre de la détermination citoyenne.
L’Europe, un Rêve en Péril ?
L’un des enjeux majeurs de cette crise est l’avenir européen de la Géorgie. L’aspiration à rejoindre l’Union européenne, inscrite dans la Constitution et soutenue par une majorité de la population selon les sondages, est menacée par les dérives autoritaires du pouvoir. Bruxelles a d’ailleurs averti que les actions du gouvernement compromettent la candidature géorgienne à l’UE. Des sanctions internationales, imposées par les États-Unis et plusieurs pays européens, visent des responsables de Rêve géorgien, accusés de bafouer les droits démocratiques.
Pour les manifestants, l’Europe représente plus qu’une alliance politique : c’est un symbole de liberté et de modernité. Pourtant, le Premier ministre Irakli Kobakhidzé a promis une réponse “stricte” en cas de débordements lors des manifestations, accusant les organisateurs de poursuivre des objectifs “radicaux”. Cette rhétorique musclée laisse craindre de nouvelles violences dans un pays déjà marqué par des mois de répression.
Les Chiffres Clés de la Crise
- 35 % : Popularité estimée de Rêve géorgien selon un récent sondage.
- 60 : Nombre de personnes emprisonnées depuis l’automne 2024.
- 4 millions : Population approximative de la Géorgie.
- 2012 : Année de l’arrivée au pouvoir de Rêve géorgien.
Un Scrutin aux Enjeux Internationaux
Les élections locales de ce samedi ne se limitent pas à des questions de gouvernance municipale. Elles cristallisent les tensions entre deux visions du futur géorgien : l’une tournée vers l’Occident, l’autre soupçonnée de vouloir ancrer le pays dans la sphère d’influence russe. La position stratégique de la Géorgie, coincée entre la Russie et la Turquie, amplifie l’importance de ce scrutin aux yeux de la communauté internationale.
Les accusations d’un État profond manipulé par des forces étrangères, portées par certains partisans du pouvoir, alimentent les divisions. Pendant ce temps, l’opposition tente de mobiliser une population lassée mais déterminée à défendre ses idéaux. Le boycott du scrutin par plusieurs partis, combiné aux appels à manifester, pourrait transformer ces élections en un moment décisif pour l’avenir politique du pays.
Quel Avenir pour la Géorgie ?
À l’approche du scrutin, l’incertitude règne. Les manifestations de samedi pourraient-elles changer la donne, ou s’essouffleront-elles face à un pouvoir inflexible ? La réponse dépendra de l’ampleur de la mobilisation et de la réaction des autorités. Une chose est sûre : la Géorgie, ce petit pays du Caucase, se trouve à un tournant de son histoire. Entre aspirations européennes et pressions autoritaires, son peuple devra choisir son chemin.
Pour les observateurs, la crise actuelle dépasse les frontières géorgiennes. Elle reflète les luttes plus larges entre démocratie et autoritarisme, entre influence occidentale et emprise russe. Alors que les drapeaux géorgiens et européens flotteront peut-être dans les rues de Tbilissi ce samedi, le monde regardera, attendant de voir si la Géorgie peut surmonter ses divisions pour tracer un avenir plus uni.