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Crise des Marais d’Irak : Une Culture en Péril

Dans les marais d'Irak, l'eau disparaît, emportant un mode de vie millénaire. Les éleveurs de buffles luttent pour survivre. Que reste-t-il de ce patrimoine unique ?

Imaginez un paysage où l’eau, jadis abondante, a laissé place à une terre craquelée, où les roseaux majestueux ne sont plus qu’un souvenir. Dans le sud de l’Irak, les marais de Chibayich, classés au patrimoine mondial de l’Unesco, agonisent. Ce lieu, souvent associé au mythique jardin d’Éden, est aujourd’hui le théâtre d’une crise silencieuse qui menace un mode de vie millénaire. Les éleveurs de buffles, gardiens d’une tradition héritée de la Mésopotamie antique, luttent pour leur survie face à une sécheresse implacable.

Les Marais d’Irak : Un Patrimoine en Danger

Les marais d’Irak, situés à la confluence des fleuves Tigre et Euphrate, ont longtemps été un havre de vie. Ils abritaient une biodiversité exceptionnelle et une culture unique, portée par des générations d’éleveurs, de pêcheurs et de chasseurs. Mais aujourd’hui, ce joyau est en péril. La sécheresse, aggravée par le changement climatique et des décennies de mauvaise gestion de l’eau, transforme ces terres humides en déserts arides.

Watheq Abbas, un éleveur de 27 ans, incarne cette lutte quotidienne. Depuis quinze ans, il guide ses buffles à travers les marais de Chibayich, cherchant désespérément des points d’eau. « Il n’y a plus d’eau, les marais sont morts », confie-t-il avec amertume. Ses mots résonnent comme un cri d’alarme pour une région où la survie dépend de l’eau.

Une Sécheresse Historique

Cette année, l’Irak traverse l’une des pires sécheresses depuis 1933. Avec des températures dépassant régulièrement les 50°C en été, l’évaporation s’accélère, asséchant les canaux qui alimentaient autrefois les marais. Les précipitations, de plus en plus rares, ne suffisent plus à compenser cette perte. Les éleveurs comme Watheq doivent parcourir des distances toujours plus grandes pour trouver de l’eau, souvent stagnante et polluée.

Avant, la sécheresse durait un an ou deux, l’eau revenait, les marais revivaient. Là, nous sommes sans eau depuis cinq ans.

Watheq Abbas, éleveur de buffles

La mort récente d’un de ses buffles, empoisonné par une eau salée, illustre la gravité de la situation. L’an dernier, sept autres bêtes ont péri. Ces pertes ne sont pas seulement économiques : elles fragilisent un mode de vie où chaque animal est vital pour la survie des familles.

Les Causes d’une Catastrophe

Le changement climatique joue un rôle central dans cette crise. La hausse des températures et la diminution des pluies réduisent le débit des fleuves, mais ce n’est pas la seule cause. En amont, les barrages construits par la Turquie et l’Iran limitent drastiquement l’approvisionnement en eau du Tigre et de l’Euphrate. Ces infrastructures, destinées à répondre aux besoins agricoles et urbains de ces pays, laissent les marais irakiens à la merci des priorités politiques.

À cela s’ajoute une gestion inéquitable de l’eau en Irak. Les autorités doivent jongler entre la fourniture d’eau potable pour 46 millions d’habitants, l’irrigation des terres agricoles et l’alimentation des marais. Ces derniers, malheureusement, passent souvent en dernier.

Une bataille pour l’eau : selon l’écologiste Jassem al-Assadi, la répartition inégale des ressources hydriques est au cœur du problème. Les pratiques agricoles, notamment l’irrigation par inondation, gaspillent des quantités précieuses d’eau.

Une Culture Millénaire Menacée

Les marais d’Irak ne sont pas seulement un écosystème : ils sont le berceau d’une culture remontant aux civilisations sumériennes et akkadiennes. Ce patrimoine, riche de traditions et de savoir-faire, est aujourd’hui en danger. Jadis, ces terres abritaient 5 600 km² de zones humides. Aujourd’hui, seules 800 km² restent immergées, selon Jassem al-Assadi, un écologiste engagé.

Dans les années 1990, Saddam Hussein avait délibérément asséché les marais pour déloger des insurgés chiites. Grâce aux efforts d’ingénieurs et de militants, une partie de ces zones avait été restaurée. Mais la sécheresse actuelle menace de réduire à néant ces progrès. Les habitants, confrontés à la disparition de leur gagne-pain, sont contraints à l’exode.

Un Écosystème au Bord du Gouffre

La biodiversité des marais souffre autant que ses habitants. Autrefois, ces terres abritaient 48 espèces de poissons ; il n’en reste que quatre. Sur 142 espèces d’oiseaux migrateurs, seules 22 subsistent. La loutre de Maxwell, une espèce rare à pelage lisse, est également menacée, tout comme les tortues et autres animaux emblématiques de la région.

Wissam al-Assadi, vétérinaire local, observe une dégradation alarmante de la santé des buffles. Ces animaux, qui devraient être immergés 14 heures par jour pour éviter l’épuisement thermique, souffrent de la canicule et de la mauvaise qualité de l’eau. Les taux élevés de salinité et de polluants affaiblissent leur système immunitaire, augmentant les maladies.

Les bêtes qui pesaient 600 kilos font 400 ou 300 kilos. Leur système immunitaire s’affaiblit, les maladies augmentent.

Wissam al-Assadi, vétérinaire

La production de lait, essentielle pour fabriquer le fromage et le geymar, une crème épaisse prisée au petit-déjeuner, a chuté de manière dramatique. Dans certains cas, elle a été divisée par trois, privant les éleveurs d’une source de revenus cruciale.

Les Buffles : Une Espèce en Voie de Disparition

Les buffles, au cœur de l’économie et de la culture des marais, sont particulièrement vulnérables. Un rapport récent des Nations unies alerte sur leur risque d’extinction sans mesures de préservation urgentes. Leur population est passée de 309 000 têtes en 1974 à seulement 40 000 en 2000, une chute directement liée aux pénuries d’eau.

Année Population de buffles
1974 309 000
2000 40 000

Pour les éleveurs, la perte des buffles est une tragédie personnelle autant qu’économique. Touwayeh Faraj, un éleveur expérimenté, ne possède plus que 30 bêtes, contre 120 il y a quelques années. Pour nourrir son cheptel, il a dû vendre des animaux, un sacrifice qui illustre la précarité de sa situation.

L’Errance des Éleveurs

Comme Touwayeh, de nombreux éleveurs parcourent les régions de Chibayich et de Missane à la recherche d’eau. Cette errance, qui peut durer des décennies, est devenue une nécessité pour survivre. « Si le bétail est en vie, nous le sommes aussi », explique Touwayeh, dont le visage buriné témoigne d’une vie de labeur.

Pourtant, cette lutte semble de plus en plus vaine. Sans salaire, sans emploi alternatif et sans soutien significatif de l’État, les éleveurs se retrouvent démunis. Beaucoup, comme les enfants de Touwayeh, se tournent vers d’autres métiers, abandonnant un mode de vie ancestral.

Quelles Solutions pour l’Avenir ?

Face à cette crise, des solutions existent, mais elles nécessitent une volonté politique forte. Une meilleure gestion de l’eau, notamment en modernisant les techniques d’irrigation, pourrait réduire le gaspillage. Des négociations avec les pays voisins pour un partage équitable des ressources du Tigre et de l’Euphrate sont également cruciales.

  • Modernisation agricole : Adopter des systèmes d’irrigation goutte-à-goutte pour limiter les pertes d’eau.
  • Coopération régionale : Négocier avec la Turquie et l’Iran pour garantir un débit minimal des fleuves.
  • Préservation écologique : Protéger les zones humides restantes et restaurer les écosystèmes dégradés.
  • Soutien aux éleveurs : Offrir des aides financières et des formations pour diversifier leurs activités.

Des ONG, comme celle qui collabore avec Wissam al-Assadi, apportent une aide précieuse en soignant les buffles et en sensibilisant à la crise. Mais ces initiatives restent insuffisantes face à l’ampleur du problème.

Un Appel à l’Action

Les marais d’Irak ne sont pas seulement un écosystème en danger : ils sont le symbole d’une culture et d’un mode de vie menacés d’extinction. Chaque jour, des éleveurs comme Watheq et Touwayeh luttent pour préserver leur héritage. Mais sans actions concrètes, ce patrimoine risque de disparaître à jamais.

La communauté internationale, les gouvernements et les organisations écologiques doivent se mobiliser pour sauver les marais. Car perdre cet écosystème, c’est perdre une partie de l’histoire humaine, un lien tangible avec les civilisations qui ont façonné notre monde.

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