Pourquoi un pays en quête de stabilité choisit-il de dissoudre une institution électorale en place depuis plus de deux décennies ? Au Burkina Faso, cette décision récente du régime militaire soulève des questions brûlantes sur l’avenir de la démocratie et la gestion de la transition politique. Le gouvernement, dirigé par le capitaine Ibrahim Traoré, a adopté un projet de loi visant à mettre fin à l’existence de la Commission électorale nationale indépendante (Céni), une institution clé dans l’organisation des élections depuis 2001. Ce choix, motivé par des raisons financières et des accusations d’influences étrangères, marque un tournant dans la gouvernance du pays.
Un Contexte Politique en Ébullition
Le Burkina Faso traverse une période de turbulences sans précédent. Depuis près d’une décennie, le pays est confronté à des violences jihadistes qui ont coûté la vie à des milliers de personnes et fragilisé les structures étatiques. À cela s’ajoutent deux coups d’État en 2022, le dernier ayant porté Ibrahim Traoré au pouvoir en septembre. Ce jeune officier a fait de la souveraineté nationale le fer de lance de son régime, cherchant à rompre avec ce qu’il perçoit comme des ingérences extérieures.
Dans ce climat instable, la transition politique, initialement prévue pour s’achever en juillet 2024, a été prolongée de cinq ans lors des assises nationales de mai 2024. Cette décision, qui permet au capitaine Traoré de rester à la tête du pays jusqu’en 2029, a suscité des débats. La dissolution de la Céni s’inscrit dans cette volonté de restructurer les institutions pour, selon le gouvernement, mieux répondre aux défis actuels.
La Céni : une Institution Controversée ?
Créée en 1998 et opérationnelle depuis 2001, la Commission électorale nationale indépendante se présentait comme une structure indépendante, chargée d’organiser des élections transparentes dans un pays revenu au multipartisme en 1991. Composée de 15 commissaires issus des partis politiques et de la société civile, elle prêtait serment devant le Conseil constitutionnel, symbolisant son impartialité.
Subventionnée à près d’un demi-milliard de francs CFA chaque année, cette structure s’avère aujourd’hui en incohérence avec les dispositions de la Charte de la transition, en plus d’être budgétivore.
Emile Zerbo, ministre de l’Administration territoriale
Le gouvernement militaire critique le coût élevé de la Céni, estimé à environ 750 000 euros par an. Mais au-delà de l’argument financier, c’est l’accusation d’influences étrangères qui pèse lourd. Pour la junte, cette institution ne correspond plus aux priorités d’un pays en quête d’autonomie décisionnelle.
Un Transfert de Pouvoir Électoral
Avec la dissolution de la Céni, les responsabilités électorales seront désormais confiées au ministère de l’Administration territoriale. Ce changement soulève des inquiétudes quant à l’indépendance du processus électoral. En effet, une institution ministérielle, directement sous l’égide du gouvernement, pourrait être perçue comme moins impartiale qu’une commission indépendante.
Le ministre Emile Zerbo a défendu cette mesure, arguant qu’elle permettra une meilleure cohérence avec la Charte de la transition, le document qui encadre la période actuelle. Mais cette centralisation des pouvoirs électoraux pourrait-elle compromettre la crédibilité des futures élections, prévues dans cinq ans ?
La dissolution de la Céni intervient dans un contexte où la junte cherche à consolider son contrôle sur les institutions, tout en affirmant sa volonté de protéger la souveraineté nationale.
Les Défis d’une Transition Prolongée
La prolongation de la transition de cinq ans a été une décision majeure. Initialement, le Burkina Faso devait organiser des élections en juillet 2024 pour rétablir un gouvernement civil. Cependant, face à l’insécurité persistante et aux défis logistiques, la junte a opté pour un délai supplémentaire. Ce choix, bien que justifié par certains comme une nécessité, divise l’opinion publique.
Les violences jihadistes, qui sévissent depuis près de dix ans, ont non seulement causé des milliers de morts, mais aussi déplacé des populations entières, rendant l’organisation d’élections à grande échelle complexe. La junte argue que stabiliser le pays est une priorité avant de penser à un scrutin national.
Ibrahim Traoré : un Leader Contesté ?
À la tête du Burkina Faso depuis septembre 2022, le capitaine Ibrahim Traoré incarne une nouvelle génération de leaders militaires. Son discours axé sur la souveraineté et la rupture avec les influences extérieures a séduit une partie de la population, lassée par des années d’instabilité. Cependant, ses décisions, comme la dissolution de la Céni ou la prolongation de la transition, suscitent des critiques.
Selon la Charte de la transition, Traoré pourra se présenter aux élections présidentielles, législatives et municipales prévues à l’issue de la transition. Cette possibilité soulève des questions sur ses intentions : cherche-t-il à consolider son pouvoir à long terme, ou prépare-t-il réellement le terrain pour une démocratie renouvelée ?
Événement | Date | Impact |
---|---|---|
Premier coup d’État | Janvier 2022 | Début de la transition politique |
Second coup d’État | Septembre 2022 | Arrivée d’Ibrahim Traoré au pouvoir |
Prolongation de la transition | Mai 2024 | Transition étendue jusqu’en 2029 |
Dissolution de la Céni | Juillet 2025 | Transfert des responsabilités électorales |
Vers une Nouvelle Gouvernance Électorale ?
La dissolution de la Céni et le transfert de ses attributions au ministère de l’Administration territoriale marquent un changement radical dans la gestion des processus électoraux. Cette centralisation pourrait permettre une meilleure coordination avec les objectifs de la junte, mais elle risque aussi de réduire la transparence et l’indépendance des futurs scrutins.
Les observateurs s’interrogent : comment le ministère, sous contrôle direct du gouvernement militaire, pourra-t-il garantir des élections justes et équitables ? La réponse à cette question dépendra de la manière dont la junte gérera cette nouvelle responsabilité dans les années à venir.
Les Enjeux pour l’Avenir
Le Burkina Faso se trouve à un carrefour. D’un côté, la junte met en avant la nécessité de réformer les institutions pour renforcer la souveraineté et répondre aux défis sécuritaires. De l’autre, les critiques pointent du doigt un risque de dérive autoritaire, avec un pouvoir de plus en plus concentré entre les mains du régime militaire.
Voici les principaux enjeux à suivre :
– Sécurisation du territoire : Les violences jihadistes restent un obstacle majeur à l’organisation d’élections nationales.
– Transparence électorale : Le transfert des responsabilités au ministère pourrait compromettre la confiance des citoyens dans le processus électoral.
– Stabilité politique : La prolongation de la transition suscite des tensions parmi ceux qui espéraient un retour rapide à un gouvernement civil.
Le Burkina Faso, comme d’autres pays de la région, doit jongler entre des impératifs de sécurité, des aspirations démocratiques et des pressions internationales. La dissolution de la Céni n’est qu’une étape dans un processus complexe, dont l’issue reste incertaine.
Quel avenir pour la démocratie burkinabè ? La réponse se dessine dans les choix d’aujourd’hui.
En attendant, le pays reste sous le regard attentif de la communauté internationale, qui observe comment la junte équilibrera ses ambitions de souveraineté avec les exigences d’une gouvernance démocratique. La route vers 2029 s’annonce longue et semée d’embûches.