Imaginez la scène : un écrivain algérien, ennemi juré de l’islamisme, se retrouve au cœur d’une tempête médiatique parce qu’un parti politique français veut le proposer pour le prix Sakharov. Tout le monde crie au scandale. Son éditeur annonce qu’il refuse catégoriquement. Et puis, patatras, l’intéressé lui-même déclare qu’il n’a jamais rien refusé du tout. Cette histoire, aussi rocambolesque qu’instructive, s’est déroulée ces derniers jours autour de Boualem Sansal.
Une polémique qui en dit long sur les réflexes pavloviens
Quand le Rassemblement National annonce vouloir proposer Boualem Sansal pour le prestigieux prix Sakharov du Parlement européen, récompensant la liberté de l’esprit, la machine médiatique s’emballe immédiatement. En quelques heures, l’information fait le tour des rédactions : « l’écrivain algérien refuse d’être associé à l’extrême droite ». Gallimard, son éditeur historique, sort même un communiqué officiel affirmant que l’auteur a décliné la proposition.
Mais il y avait un détail que personne n’avait pensé à vérifier : demander son avis à Boualem Sansal lui-même.
Le démenti cinglant de l’écrivain
Invité sur un plateau télévisé majeur, Boualem Sansal a mis les choses au clair avec une franchise désarmante. « Je n’ai jamais été opposé à cette proposition », a-t-il déclaré calmement. Mieux : il a rappelé qu’il entretenait des relations amicales avec des personnalités de tous bords politiques, y compris au Rassemblement National.
« J’ai des amis partout, y compris au RN. Je ne choisis pas mes amis en fonction de leur appartenance politique. »
Boualem Sansal
Cette phrase, simple et directe, a fait l’effet d’une bombe. En une seule intervention, l’écrivain algérien a dynamité tout le récit construit en quelques heures par la presse et son propre éditeur.
Gallimard pris en flagrant délit de communication hasardeuse
Le plus gênant dans cette affaire reste la position de Gallimard. Comment l’une des maisons d’édition les plus prestigieuses de France a-t-elle pu annoncer publiquement le refus de son auteur… sans même lui avoir parlé ?
Cette précipitation révèle une réalité troublante : pour certains milieux intellectuels parisiens, l’idée qu’un écrivain critique de l’islamisme puisse accepter le soutien d’un parti classé à droite de l’échiquier politique est tout simplement inconcevable. Au point de préférer parler à sa place plutôt que de risquer une réponse… inconvenante.
Le communiqué de Gallimard apparaît rétrospectivement comme une tentative maladroite de « protéger » Boualem Sansal contre lui-même. Une forme de paternalisme qui en dit long sur le climat intellectuel actuel.
Boualem Sansal, cet intellectuel inclassable qui dérange
Pour comprendre l’ampleur du malaise, il faut revenir sur le parcours de Boualem Sansal. Cet ancien haut fonctionnaire algérien a tout quitté pour devenir l’un des critiques les plus radicaux de l’islamisme. Ses livres, comme Le Serment des barbares, 2084 : la fin du monde ou Gouverner au nom d’Allah, ont fait de lui une figure incontournable du débat sur l’islam politique.
En Algérie, il vit sous protection policière. En France, il est célébré… mais avec une certaine retenue. Car Boualem Sansal ne se contente pas de critiquer l’islamisme. Il va plus loin. Beaucoup plus loin.
« L’islamisme, c’est quelque chose de marginal. Le problème, c’est l’islam. »
Boualem Sansal
Cette phrase, prononcée il y a quelques années, continue de hanter les débats. Elle place l’écrivain dans une position radicalement solitaire : trop critique pour la gauche multiculturaliste, trop universaliste pour certains conservateurs, et évidemment infréquentable pour les islamistes.
Le prix Sakharov : un choix qui fait sens
Le prix Sakharov récompense chaque année des personnalités exceptionnelles pour leur engagement en faveur des droits de l’homme et de la liberté d’expression. Andreï Sakharov lui-même, physicien soviétique dissident, incarne cette lutte contre les totalitarismes.
Quand on regarde le parcours de Boualem Sansal, la proposition du Rassemblement National apparaît soudain beaucoup moins surprenante. Un écrivain qui vit sous la menace islamiste depuis vingt ans, qui a été interdit de séjour dans son propre pays, qui continue malgré tout de publier des brûlots contre l’obscurantisme : voilà exactement le profil d’un lauréat potentiel du prix Sakharov.
Les précédents lauréats incluent des figures aussi diverses que Nelson Mandela, Malala Yousafzai ou les démocrates de Hong Kong. La diversité politique des proposants n’a jamais posé problème. Pourquoi en serait-il autrement pour Boualem Sansal ?
La liberté de l’écrivain face aux assignations identitaires
L’affaire révèle surtout une tendance inquiétante : l’assignation à résidence idéologique des intellectuels issus de l’immigration. Boualem Sansal, parce qu’il est algérien et musulman d’origine, devrait nécessairement adopter certaines positions politiques. Critiquer l’islamisme ? Acceptable. Aller plus loin dans la critique de l’islam ? Déjà plus problématique. Accepter le soutien d’un parti de droite nationale ? Impensable.
Cette logique est exactement celle que combat l’écrivain depuis trente ans. En refusant de se laisser enfermer dans une case, en acceptant des amitiés au-delà des clivages traditionnels, Boualem Sansal applique concrètement la liberté de penser qu’il défend dans ses livres.
Son attitude fait écho à celle d’autres intellectuels inclassables comme Kamel Daoud, qui refuse également les étiquettes et les assignations. Les deux écrivains algériens partagent cette même liberté farouche, cette même capacité à dire non aux bien-pensants de tous bords.
Une leçon de journalisme et de décence
Cette affaire constitue un cas d’école sur la fabrication de l’information. En quelques heures, toute la presse française relaie la même information : Boualem Sansal refuse la proposition du RN. Personne ne vérifie. Personne ne appelle l’écrivain. L’information fait boule de neige jusqu’à ce que l’intéressé lui-même vienne rétablir la vérité.
Ce n’est pas la première fois que Boualem Sansal fait les frais de cette précipitation médiatique. Déjà en 2015, après les attentats de Charlie Hebdo, ses prises de position radicales sur l’islam avaient provoqué des réactions outrées. Déjà, on lui reprochait de « faire le jeu de l’extrême droite ». Déjà, on tentait de le ramener dans le droit chemin idéologique.
Dix ans plus tard, rien n’a changé. Ou plutôt si : l’écrivain, lui, n’a pas bougé d’un iota. C’est le monde autour de lui qui continue de s’agiter, de s’offusquer, de tenter de le faire rentrer dans des cases qu’il a toujours refusé.
Vers une candidature officielle ?
À l’heure où nous écrivons ces lignes, la proposition du Rassemblement National suit son cours au Parlement européen. D’autres groupes politiques pourraient également soutenir la candidature de Boualem Sansal. L’écrivain, lui, continue son travail : écrire, témoigner, alerter.
Qu’il obtienne ou non le prix Sakharov importe finalement assez peu. Ce qui compte, c’est qu’un intellectuel maghrébin, menacé dans son propre pays pour ses idées, continue de parler librement en Europe. Et que cette liberté, justement, dérange encore tant de monde.
Car c’est bien là le paradoxe : ceux qui se revendiquent les plus fervents défenseurs de la liberté d’expression sont souvent les premiers à vouloir la limiter quand elle s’exerce dans un sens qui les met mal à l’aise. Boualem Sansal, par son attitude calme et déterminée, leur renvoie une leçon de cohérence dont ils devraient s’inspirer.
En acceptant potentiellement cette proposition, l’écrivain algérien ne fait rien d’autre que ce qu’il a toujours fait : refuser les frontières idéologiques, refuser les assignations, refuser de se laisser dicter ses amitiés ou ses combats. En un mot : rester libre.
À lire également : Quand un écrivain refuse de choisir son camp dans la guerre des idées, il rappelle à tous que la liberté de penser n’a pas de couleur politique. Boualem Sansal incarne cette liberté rare et précieuse que certains aimeraient bien lui retirer.
L’histoire n’est peut-être pas terminée. Mais elle a déjà révélé l’essentiel : en 2025, en France, un intellectuel peut encore choquer en restant fidèle à ses idées. Et c’est probablement la plus belle victoire de Boualem Sansal.









