Imaginez la scène : un joueur professionnel, payé plusieurs millions par an, filmé en train de rire aux éclats, un ballon de baudruche collé à la bouche. Ce n’est pas une soirée d’anniversaire. C’est Yves Bissouma, milieu de terrain de Tottenham, en train d’inhaler du protoxyde d’azote. Et la vidéo a fuité pile au pire moment.
Une récidive qui fait très mal
Ce n’est pas la première fois. L’an dernier, le Malien de 28 ans avait déjà été écarté plusieurs semaines pour exactement le même motif. À l’époque, le club avait parlé d’une « erreur de jeunesse ». Aujourd’hui, le mot « récidive » revient sur toutes les lèvres. Et dans le football anglais, ultra-médiatisé et ultra-exigeant, répéter la même faute laisse rarement indemne.
Le timing est catastrophique. Tottenham reçoit le Slavia Prague mardi soir en 16es de finale retour de Ligue des champions. Une qualification en jeu, des millions d’euros en perspective, et surtout une saison qui peut basculer. Difficile d’imaginer pire distraction.
Que s’est-il réellement passé ?
La vidéo, diffusée sur Snapchat puis reprise partout, dure quelques secondes seulement. On y voit Bissouma, hilare, aspirer dans un ballon bleu typique du protoxyde d’azote. Le gaz hilarant provoque une euphorie brève mais intense, accompagnée de ce rire incontrôlable que l’on reconnaît immédiatement. Rien de violent, rien d’illégal en soi en Angleterre (la vente est réglementée mais la consommation reste tolérée dans certains cadres), mais l’image renvoyée est désastreuse pour un sportif de haut niveau.
Le protoxyde d’azote prive temporairement le cerveau d’oxygène. À haute dose ou de manière répétée, il peut causer des dommages neurologiques graves, voire mortels. Des footballeurs ont déjà payé cher ce genre de soirée : perte de sensibilité dans les jambes, hospitalisations longues… Le risque n’est pas théorique.
« C’est une affaire interne dont nous nous occupons actuellement. Quand ce sera réglé, je commenterai. »
Ange Postecoglou, entraîneur de Tottenham, en conférence de presse
Tottenham dans une position délicate
Le club londonien n’a pas le choix : il doit montrer l’exemple. La Premier League surveille de près la conduite de ses joueurs hors terrain. Les sponsors, eux, détestent ce genre de publicité négative. Et les supporters, déjà frustrés par une saison en dents de scie, ne pardonnent plus grand-chose.
En 2024, Bissouma avait écopé d’une suspension interne de plusieurs matchs et d’une amende conséquente. Cette fois, la sanction pourrait être plus lourde : suspension longue durée, mise à l’écart définitive du groupe pro, voire rupture de contrat si le club veut marquer les esprits.
Car il y a un précédent récent chez les Spurs : Matt Doherty, Tanguy Ndombele ou Sergio Reguilon ont été poussés vers la sortie pour des questions d’état d’esprit. Ange Postecoglou, l’entraîneur australien, répète sans cesse qu’il ne veut que des joueurs « totalement investis ». Le message est clair.
Le protoxyde d’azote, fléau silencieux du football anglais
Bissouma n’est pas un cas isolé. Ces dernières années, plusieurs joueurs de Premier League ont été filmés dans les mêmes circonstances : Dele Alli, Kyle Walker, ou encore certains jeunes de Manchester City. Le gaz hilarant est devenu la drogue récréative préférée d’une partie de la jeunesse dorée anglaise. Facile à trouver, pas trop cher, effet immédiat.
Les clubs ont beau organiser des réunions de prévention, diffuser des vidéos choc sur les risques neurologiques, une partie des joueurs continue. Le sentiment d’invincibilité, l’argent facile, les soirées interminables… tout concourt à banaliser ces pratiques.
Les dangers du protoxyde d’azote en quelques chiffres :
- Plus de 50 décès liés au N2O au Royaume-Uni depuis 2006
- Augmentation de 600 % des hospitalisations entre 2014 et 2022
- Carences en vitamine B12 chez les consommateurs réguliers
- Paralysies partielles documentées chez plusieurs sportifs
Et maintenant ? Les scénarios possibles
Scénario 1 : le club tape fort. Suspension de plusieurs mois, travail d’intérêt général, suivi médical obligatoire. Message envoyé à tout l’effectif.
Scénario 2 : sanction symbolique. Amende, excuses publiques, Bissouma revient rapidement. Risque : donner l’impression que l’argent protège tout.
Scénario 3 (peu probable) : rupture de contrat. Le joueur, sous contrat jusqu’en 2026, représente encore une valeur marchande importante (estimée à 30-35 millions d’euros). Le vendre dès janvier pourrait rapporter de l’argent mais fragiliserait le milieu de terrain.
Ce qui est certain, c’est que Bissouma ne jouera pas contre le Slavia Prague. L’entraîneur l’a déjà écarté de l’entraînement collectif ce lundi. Le message est passé.
Un talent gâché ou une dernière chance ?
À 28 ans, Yves Bissouma reste l’un des meilleurs milieux défensifs de Premier League quand il est en forme. Sa puissance physique, sa lecture du jeu, ses relances : tout le monde s’accorde à dire qu’il a le niveau pour les plus grands clubs. Brighton l’avait recruté pour 17 millions, Tottenham avait déboursé 30 millions en 2022. L’investissement est colossal.
Mais depuis son arrivée à Londres, les pépins s’enchaînent : blessures à répétition, suspensions, et maintenant cette affaire. Beaucoup se demandent si le Malien parviendra un jour à exprimer tout son potentiel sur la durée.
Certains supporters, sur les réseaux, parlent déjà de « gâchis ». D’autres espèrent encore un sursaut d’orgueil. « S’il comprend enfin, il peut devenir le patron du milieu pendant dix ans », écrivait récemment un journaliste anglais. À condition que les soirées s’arrêtent.
Ce que ça dit de notre époque
Au-delà du cas Bissouma, cette affaire interroge toute une génération de footballeurs. Ils gagnent des fortunes dès 20 ans, sont suivis par des millions de personnes, mais restent des jeunes adultes avec les mêmes tentations que n’importe qui. Sauf que chaque erreur est filmée, partagée, commentée par le monde entier.
Les clubs ont renforcé les départements « bien-être des joueurs », les psychologues, les mentors. Mais quand un téléphone sort dans une soirée, plus rien ne protège. La frontière entre vie privée et image publique n’a jamais été aussi fine.
Et nous, supporters, sommes ambivalents : on réclame des sanctions exemplaires, mais on partage la vidéo des milliers de fois. On veut des héros irréprochables, mais on consomme le scandale comme un divertissement. L’histoire Bissouma, finalement, nous renvoie aussi à nos propres contradictions.
Affaire à suivre donc. Tottenham communiquera probablement en début de semaine prochaine. En attendant, le football continue, impitoyable. Mardi soir, les Spurs auront besoin de tout le monde sur le terrain. Sauf, peut-être, de leur milieu le plus talentueux… et le plus fragile.









