Imaginez la scène : le 4 décembre, à Washington, trois chefs d’État signent un accord historique sous les flashs des caméras, présenté comme le « grand miracle » qui va enfin ramener la paix dans l’est de la République démocratique du Congo. Moins d’une semaine plus tard, les combats reprennent de plus belle et un groupe armé s’approche dangereusement d’une grande ville stratégique. Ce n’est pas un film, c’est la réalité brutale que vit la région des Grands Lacs en ce début décembre.
Un accord de paix déjà moribond
L’image avait pourtant de quoi marquer les esprits. Devant Donald Trump, Félix Tshisekedi et Paul Kagame apposaient leur signature sur un document censé tourner la page de décennies de violences. Le président américain n’avait pas hésité à parler d’un texte « puissant et détaillé » et d’un moment historique. Quelques jours ont suffi pour que tout cela ressemble à une simple parenthèse.
Dès le 2 décembre, soit deux jours avant la cérémonie officielle, des mouvements de troupes étaient déjà signalés. Les offensives n’ont pas attendu la fin des applaudissements pour reprendre. Ce décalage entre les paroles et les actes jette une ombre lourde sur la crédibilité de l’ensemble du processus.
Le point de vue sans concession du Burundi
Le ministre burundais des Affaires étrangères, Édouard Bizimana, n’a pas mâché ses mots. Pour lui, laisser un accord fraîchement signé être bafoué aussi rapidement représente une humiliation, d’abord pour le peuple congolais, mais aussi pour celui qui a mis tout son poids politique dans la balance.
« Signer un accord et ne pas l’appliquer, c’est une humiliation pour tout le monde et en premier lieu pour le président Trump. C’est vraiment une gifle aux États-Unis, un doigt d’honneur. »
Édouard Bizimana, ministre burundais des Affaires étrangères
Ces déclarations, prononcées avec une franchise rare en diplomatie, traduisent une exaspération profonde. Elles révèlent aussi la conviction de Bujumbura : les événements sur le terrain ne sont pas le fruit du hasard, mais d’une stratégie délibérée.
L’offensive éclair vers Uvira
Le groupe armé M23 a franchi une étape symbolique en pénétrant dans les faubourgs nord d’Uvira, ville de plusieurs centaines de milliers d’habitants située au bord du lac Tanganyika. À seulement une vingtaine de kilomètres de la frontière, cette progression place la capitale économique du Burundi à portée directe de menace.
Les informations restent confuses sur le contrôle effectif de la ville, mais les conséquences humaines, elles, sont déjà bien réelles. En quelques jours à peine, plus de 45 000 personnes ont fui les combats : environ 40 000 Congolais et 5 500 Burundais résidant en RDC ont traversé la frontière pour trouver refuge au Burundi.
Ces chiffres, avancés par le ministre burundais, donnent la mesure de la panique qui s’est emparée des populations civiles. Routes encombrées, familles séparées, enfants perdus dans la foule : le tableau classique d’une crise humanitaire qui s’emballe.
Les accusations croisées qui enveniment tout
Comme toujours dans ce genre de situation, chaque camp renvoie la responsabilité à l’autre. Du côté burundais, on affirme voir arriver des renforts en provenance du Rwanda : camions remplis de militaires, tirs d’artillerie depuis le territoire rwandais. L’équation est simple pour Bujumbura : sans appui massif, le M23 ne pourrait pas mener une telle offensive.
De son côté, Kigali contre-attaque en accusant les armées congolaise et burundaise de bombarder délibérément des villages civils proches de sa frontière à l’aide d’avions de chasse et de drones. Selon le gouvernement rwandais, le M23 ne ferait que riposter à ces agressions.
Ce jeu de ping-pong verbal complique terriblement toute tentative de médiation. Chacun brandit ses preuves, chacun crie à l’agression, et pendant ce temps les populations continuent de payer le prix le plus lourd.
Des sanctions, la seule solution selon Bujumbura
Pour le ministre Édouard Bizimana, il n’y a plus de place pour les demi-mesures. La seule réponse crédible passe par des sanctions immédiates et fermes contre le Rwanda : gel des financements internationaux, embargo sur les armes, mesures économiques ciblées.
Il va même plus loin en affirmant que le Burundi se tient prêt à défendre ses frontières par la force si nécessaire. Le message est clair : la menace est perçue comme directe et imminente.
« La seule façon d’arrêter ce massacre, c’est d’imposer des sanctions contre le Rwanda, arrêter tout financement ou toute livraison d’armes. »
Cette position radicale place la communauté internationale face à un dilemme délicat. Faut-il suivre le Burundi et risquer d’enflammer encore plus la région ? Ou continuer la politique de la main tendue, au risque de voir l’accord de Washington réduit à une simple feuille de papier ?
Un contexte régional explosif
Il ne faut pas oublier que le conflit dans l’est de la RDC ne date pas d’hier. Depuis près de trente ans, cette région riche en minerais stratégiques est le théâtre d’affrontements entre dizaines de groupes armés. Le M23, créé en 2012 par d’anciens militaires tutsis congolais, avait déjà provoqué une crise majeure avant d’être militairement défait en 2013.
Son retour en force depuis 2021, avec un soutien extérieur largement documenté par les experts onusiens (entre 6 000 et 7 000 soldats rwandais selon les derniers rapports), a relancé tous les vieux démons : rivalités ethniques, lutte pour le contrôle des ressources, jeux d’influence régionaux.
Au centre de tout cela, la question tutsie reste brûlante. Kigali justifie depuis toujours son implication par la nécessité de protéger les populations tutsies congolaises face à des groupes armés hostiles. Une argumentation que Kinshasa et ses alliés rejettent comme un simple prétexte pour maintenir une influence sur le territoire congolais.
Les civils, éternelles victimes
Derrière les grandes déclarations politiques et les manœuvres militaires, il y a des familles entières qui fuient sous les balles. Des enfants qui marchent des kilomètres avec pour seul bagage le vêtement qu’ils portent. Des personnes âgées abandonnées sur le bord des routes.
Les camps de réfugiés au Burundi commencent déjà à se remplir. Les organisations humanitaires tirent la sonnette d’alarme : nourriture, eau potable, abris, soins médicaux, tout manque cruellement quand des dizaines de milliers de personnes arrivent en quelques jours.
Et l’hiver austral, avec ses pluies diluviennes, ne va rien arranger. Les chemins deviennent des rivières de boue, les maladies se propagent à toute vitesse dans les regroupements improvisés. La crise humanitaire menace de prendre des proportions dramatiques si la situation militaire ne se stabilise pas rapidement.
Et maintenant ?
La grande question reste entière. L’accord signé à Washington peut-il encore être sauvé ? Ou assiste-t-on à la énième illustration de l’impuissance de la communauté internationale face aux crises africaines quand les intérêts stratégiques et historiques sont trop profondément enchevêtrés ?
Le Burundi, en première ligne géographiquement et politiquement, semble avoir choisi son camp : plus de patience, place à la fermeté. Reste à savoir si d’autres capitales suivront. Car sans pression réelle et coordonnée, les belles signatures sous les dorures de Washington resteront ce qu’elles sont aujourd’hui pour beaucoup d’observateurs : un symbole vide.
Dans l’est de la RDC, les armes parlent plus fort que les mots. Et pour l’instant, elles ont clairement le dernier mot.
La région des Grands Lacs a déjà connu trop de promesses de paix brisées. Chaque fois que l’on croit toucher au bout du tunnel, une nouvelle offensive vient rappeler que les racines du conflit sont profondes et que la volonté politique manque souvent pour les arracher définitivement.
Les prochains jours seront décisifs. Soit la communauté internationale trouve le moyen de faire respecter l’accord, soit elle devra reconnaître une fois de plus que les mots, même signés devant les caméras du monde entier, ne pèsent pas lourd face à la réalité du terrain.
En attendant, des dizaines de milliers de personnes continuent de marcher vers un avenir incertain, fuyant des combats dont elles ne sont ni responsables ni acteurs, mais toujours les premières victimes.









