C’est un dénouement heureux pour une sombre histoire d’art spolié datant de la Seconde Guerre mondiale. D’après une source proche du dossier, le musée Langmatt de Baden en Suisse a annoncé être parvenu à un accord à l’amiable avec les héritiers des anciens propriétaires de deux tableaux impressionnistes de sa collection. Ces oeuvres de Paul Cézanne et Eugène Boudin auraient en effet pu faire partie des innombrables trésors artistiques confisqués par le régime nazi dans les années 1930 et 1940.
Une enquête de trois ans sur l’origine des tableaux
Situé non loin de Zurich, le musée Langmatt abrite l’une des plus importantes collections privées d’impressionnisme français en Europe. Ses 13 tableaux, pour la plupart des chefs-d’oeuvre du mouvement, avaient été acquis entre 1933 et 1940 par Jenny et Sidney Brown, un couple mécène appartenant à la famille fondatrice de la société d’ingénierie Brown, Boveri & Cie. (BBC), devenue depuis ABB.
Mais d’où provenaient réellement ces oeuvres ? C’est la question à laquelle a voulu répondre une vaste étude sur leurs origines, lancée il y a près de trois ans par le musée avec le soutien de l’Office fédéral de la culture suisse. Un travail de fourmi pour retracer le parcours de chaque tableau avant son acquisition par les Brown, à une époque troublée marquée par les spoliations nazies.
Deux oeuvres classées « clairement problématiques »
Les résultats de ces recherches, dévoilés jeudi par le musée Langmatt, sont nuancés. Pour 11 des 13 oeuvres étudiées, les experts n’ont trouvé « aucun indice ou preuve d’art spolié par les nazis » ou ont pu exclure un tel lien. Mais deux tableaux ont été classés dans la catégorie « clairement problématique » selon le communiqué du musée.
Il s’agit de « Fruits et pot de gingembre » du maître postimpressionniste Paul Cézanne, et de « Pêcheuses sur la plage de Berck » d’Eugène Boudin, un pionnier de la peinture en plein air. Des documents retrouvés dans des archives à Cologne et une base de données sur l’art spolié laissent penser que ces oeuvres auraient appartenu à des collectionneurs juifs avant d’être saisies ou bradées sous la pression du régime hitlérien.
Un « accord juste et équitable » avec les héritiers
Face à ces découvertes, le musée Langmatt assure avoir contacté « de manière proactive » les héritiers des propriétaires spoliés afin de trouver une solution. « Dans les deux cas, un accord juste et équitable a pu être trouvé » se félicite l’institution dans son communiqué.
Concernant le Cézanne, qui faisait partie des trois oeuvres du peintre vendues aux enchères en novembre dernier par le musée pour renflouer ses caisses, un accord a été conclu avec les descendants de Jacob Goldschmidt, un banquier et collectionneur juif allemand dépossédé dans les années 30. Le tableau avait été vendu par une galerie de Lucerne au couple Brown juste après, une transaction aujourd’hui considérée comme « une confiscation liée à la persécution nazie ».
Quant au tableau de Boudin, il a été acheté par les Brown en 1936 alors qu’il appartenait à Richard Semmel, un industriel juif. Là aussi, le musée est parvenu à un « accord de dédommagement » avec les héritières pour que l’oeuvre puisse rester exposée à Langmatt.
Une juste restitution, un devoir de mémoire
Au-delà de l’épineuse question de la propriété, c’est un travail essentiel de vérité qui a été mené par le musée suisse. Car derrière chaque tableau spolié, ce sont des destins tragiques et des vies brisées par la barbarie nazie qu’on devine.
Rendre justice aux victimes et à leurs descendants est un devoir moral pour le monde de l’art, encore hanté par les fantômes de cette sombre époque.
– Un expert en restitution d’œuvres d’art
En retraçant minutieusement l’historique de ces œuvres et en cherchant un accord équitable avec les héritiers lésés, le musée Langmatt montre l’exemple d’une démarche responsable et éthique. Un symbole fort au moment où le sujet sensible des spoliations revient sur le devant de la scène, avec la découverte récente de plusieurs Collections d’art confisquées refaisant surface.
Espérons que cette prise de conscience guidera de nombreux autres musées à travers le monde dans un indispensable travail de mémoire, pour que la lumière soit faite sur l’origine de leurs collections. Et que justice soit rendue, enfin, aux victimes trop longtemps oubliées de ce pillage artistique sans précédent. Le chemin est encore long, mais chaque tableau restitué est une petite victoire contre l’oubli et le déni.