Imaginez-vous écrire un roman salué par la critique, récompensé par un prix prestigieux, pour ensuite vous retrouver au cœur d’une tempête judiciaire. C’est la réalité de Kamel Daoud, écrivain franco-algérien, aujourd’hui accusé d’avoir volé une histoire personnelle pour son ouvrage Houris. Cette affaire, qui mêle littérature, justice internationale et mémoire collective, soulève des questions brûlantes sur la liberté de création et les limites de l’inspiration artistique.
Une Affaire qui Secoue le Monde Littéraire
En 2024, Kamel Daoud reçoit le prix Goncourt pour Houris, un roman poignant qui explore les cicatrices de la décennie noire en Algérie à travers le destin d’Aube, une jeune femme muette après une attaque brutale. Mais ce succès littéraire est rapidement éclipsé par une accusation grave : une Algérienne, Saâda Arbane, affirme que l’écrivain a utilisé son histoire personnelle sans son consentement pour construire son récit. Cette plainte donne naissance à une bataille judiciaire complexe, marquée par deux mandats d’arrêt internationaux émis par l’Algérie et une procédure civile en France.
Pour Daoud, ces poursuites ne sont pas seulement une attaque contre son œuvre, mais une tentative de l’enfermer dans un dédale juridique. Dans une déclaration publique, il qualifie cette situation de persécution judiciaire, un terme qui résonne avec force dans un contexte où la liberté d’expression est souvent mise à l’épreuve.
Les Origines du Conflit : Une Histoire Contestée
Au cœur de cette affaire se trouve Saâda Arbane, une rescapée d’un massacre survenu pendant la guerre civile algérienne des années 1990. Selon elle, l’histoire d’Aube, le personnage central d’Houris, est directement inspirée de sa propre vie, marquée par des traumatismes profonds. Elle ne cherche pas, dit-elle, à censurer Daoud, mais à obtenir réparation pour ce qu’elle considère comme une violation de sa vie privée.
Je ne cherche pas à censurer un écrivain, je cherche à faire reconnaître un préjudice réel et très grave.
Saâda Arbane
De son côté, Daoud rejette ces accusations. Il affirme que l’histoire qu’il raconte est connue de tous en Algérie, particulièrement à Oran, où se déroule une partie du roman. Pour lui, Houris est une œuvre de fiction, et non un récit biographique. Cette défense soulève une question fondamentale : où se situe la frontière entre inspiration et appropriation dans la création littéraire ?
Un Contexte Judiciaire Explosif
La justice algérienne a émis deux mandats d’arrêt internationaux contre Daoud et son épouse, une psychiatre, les accusant de violation de la vie privée. Ces mandats visent à les faire comparaître en Algérie pour répondre aux accusations de Saâda Arbane. En parallèle, une plainte civile a été déposée en France, où une première audience procédurale s’est tenue en mai 2025, avec une prochaine étape prévue pour septembre.
Daoud, par l’intermédiaire de son avocate, a annoncé son intention de contester ces mandats auprès d’Interpol, arguant qu’ils constituent une instrumentalisation de la justice pour des motifs politiques ou personnels. Cette double procédure, en Algérie et en France, illustre la complexité de l’affaire, qui transcende les frontières et touche à des enjeux culturels et historiques profonds.
Les enjeux juridiques en bref :
- Mandats algériens : Deux mandats d’arrêt pour violation de la vie privée.
- Plainte en France : Procédure civile pour le même motif, en cours à Paris.
- Contestation : Daoud envisage de faire appel à Interpol.
Houris : Un Roman au Cœur de la Polémique
Houris, dont le titre fait référence aux jeunes filles promises au paradis dans la tradition musulmane, est un roman sombre et introspectif. Il suit Aube, une femme rendue muette par un acte de violence commis par un islamiste à la fin des années 1990. Le récit, ancré dans la ville d’Oran, explore les traumatismes de la décennie noire, une période de guerre civile en Algérie qui a fait environ 200 000 morts entre 1992 et 2002.
Mais ce roman ne peut être publié en Algérie. Une loi interdit en effet tout ouvrage abordant cette période tragique, ce qui place Houris dans une position délicate. Cette censure, combinée aux accusations de Saâda Arbane, renforce le sentiment de Daoud d’être ciblé pour des raisons qui dépassent la simple question juridique.
Liberté d’Expression vs Droit à la Vie Privée
Cette affaire met en lumière un dilemme universel : comment concilier la liberté d’expression d’un artiste avec le droit des individus à protéger leur vie privée ? Pour Daoud, l’accusation repose sur une mauvaise interprétation de son travail. Il insiste sur le fait que son roman ne cite pas directement Saâda Arbane et ne détaille pas sa vie personnelle.
Tout le monde connaît cette histoire en Algérie, et surtout à Oran. C’est une histoire publique.
Kamel Daoud
Pourtant, pour la plaignante, le préjudice est réel. Elle affirme que la ressemblance entre son histoire et celle d’Aube est trop frappante pour être une coïncidence. Ce débat, qui oppose deux visions légitimes, pourrait établir un précédent important dans la manière dont les écrivains abordent des histoires inspirées de la réalité.
Un Contexte Politique et Culturel Chargé
L’affaire Daoud ne peut être pleinement comprise sans prendre en compte le contexte politique et culturel de l’Algérie. La décennie noire reste une blessure ouverte, et les récits qui s’y rapportent sont souvent perçus comme sensibles. En outre, Daoud, connu pour ses prises de position critiques envers le pouvoir algérien, pourrait être perçu comme une cible dans un climat où la liberté d’expression est parfois restreinte.
En France, où Daoud réside partiellement, l’affaire soulève également des questions sur la manière dont la justice traite les conflits liés à la création artistique. La procédure civile en cours à Paris pourrait avoir des répercussions sur la manière dont les écrivains abordent des sujets sensibles à l’avenir.
Aspect | Position de Daoud | Position de la Plaignante |
---|---|---|
Inspiration | Histoire publique, fiction | Histoire personnelle volée |
Objectif | Défendre la liberté artistique | Obtenir réparation |
Conséquences | Persécution judiciaire | Préjudice moral |
Vers une Résolution ?
La prochaine audience en France, prévue pour septembre 2025, pourrait apporter des éclaircissements sur cette affaire. En attendant, Daoud continue de défendre son œuvre, tout en dénonçant ce qu’il perçoit comme une tentative de museler sa voix. De son côté, Saâda Arbane persiste dans sa quête de justice, déterminée à faire reconnaître son préjudice.
Quel que soit le dénouement, cette affaire restera un exemple frappant des tensions entre art, justice et mémoire. Elle nous pousse à nous interroger : jusqu’où un écrivain peut-il puiser dans la réalité sans franchir une ligne éthique ? Et comment la justice peut-elle trancher dans un domaine aussi subjectif que la création artistique ?
Ce qu’il faut retenir :
- Daoud est accusé d’avoir volé une histoire personnelle pour Houris.
- Deux mandats d’arrêt algériens et une plainte en France pèsent contre lui.
- L’écrivain dénonce une persécution judiciaire.
- L’affaire soulève des questions sur la liberté d’expression et la vie privée.
En attendant les prochaines étapes judiciaires, l’affaire Kamel Daoud continue de captiver l’attention, non seulement pour ses implications littéraires, mais aussi pour ce qu’elle révèle des défis de notre époque. Une chose est sûre : elle ne laissera personne indifférent.