Imaginez une ville où, du jour au lendemain, des milliers de personnes troquent leur quotidien pour endosser un uniforme, un fusil ou un sifflet de police. À Bukavu, dans l’est de la République démocratique du Congo (RDC), ce scénario n’a rien d’une fiction. Depuis une semaine, le groupe armé M23, qui a pris le contrôle de cette métropole stratégique, orchestre un recrutement massif. Civils en quête de sens, anciens soldats désabusés ou policiers prêts à changer de camp : tous affluent, attirés par une promesse de renouveau ou simplement par nécessité. Mais que cache cette mobilisation éclair ?
Le M23 Redessine l’Est de la RDC
Depuis fin janvier, le M23 a bouleversé le paysage de l’est congolais. En quelques semaines, ce mouvement, appuyé selon des experts par des forces extérieures, a conquis des villes clés comme Goma et Bukavu. Cette offensive, rapide et implacable, a laissé derrière elle un vide que le groupe s’empresse de combler. Mais au-delà des conquêtes territoriales, c’est une transformation sociale qui s’opère. Des milliers de personnes, issues d’horizons divers, se pressent pour rejoindre ses rangs. Pourquoi un tel engouement ?
Des Volontaires aux Profils Variés
Dans un stade de Bukavu transformé en centre de recrutement, la scène est saisissante. D’anciens membres des forces de l’ordre côtoient des civils sans expérience militaire. Parmi eux, deux vétérans de la police, âgés de 52 et 50 ans, expliquent leur choix. Pour eux, la **mauvaise gouvernance** du pays est une motivation suffisante pour basculer. « On a vu trop d’injustices », confient-ils, dénonçant un système qui les a laissés à l’abandon.
« Ce qui nous a motivés, c’est de voir à quel point notre pays est mal géré. »
– Deux ex-policiers passés au M23
Mais ils ne sont pas seuls. Des civils, jeunes et moins jeunes, se joignent aussi à la vague. Un homme d’une trentaine d’années rêve depuis longtemps de protéger sa communauté en devenant policier. Une femme dans la vingtaine, elle, cite le **chômage** comme moteur de sa décision : « Sans travail, j’étais prête à tout pour survivre. » Ces témoignages, bien que présentés comme volontaires, soulèvent une question : choix libre ou contrainte masquée ?
Une Armée et une Police en Mutation
Le M23 ne se contente pas de recruter : il réorganise. Dans les locaux d’un ancien commissariat, des policiers congolais reçoivent de nouveaux uniformes. À quelques kilomètres, des soldats des forces nationales, restés sur place après la déroute de leurs unités, sont intégrés à l’**Armée révolutionnaire congolaise** (ARC). Selon un porte-parole du mouvement, ce premier contingent inclut 1 800 policiers, 750 militaires recyclés et 1 320 civils novices. Une machine bien huilée, prête à transformer la région.
- Policiers : 1 800 anciens agents réaffectés.
- Militaires : 750 soldats intégrés à l’ARC.
- Civils : 1 320 nouveaux venus en formation.
Pour les recrues, le voyage ne s’arrête pas là. Embarqués sur des bateaux traversant le lac Kivu, les civils partent pour une formation dans le Nord-Kivu, tandis que les anciens policiers suivent un « recyclage ». Objectif : façonner une force disciplinée et loyale.
Un Discours de Rupture
Le ton est donné par un haut gradé du M23 lors d’une allocution devant les recrues. « Vous avez été abandonnés, paupérisés », lance-t-il aux ex-policiers, avant de promettre un avenir meilleur : « Plus jamais un policier ne sera un clochard dans son propre pays. » Ce discours, mêlant reproches et espoirs, vise à rallier les indécis. Le général insiste : cette armée se veut « du peuple », loin des dérives du passé.
« Nous sommes une armée du peuple, pas un refuge pour les malfrats. »
– Un haut responsable du M23
Mais cette rhétorique soulève des doutes. Si le M23 promet justice et dignité, son offensive a aussi été marquée par des pillages et des exactions imputés aux forces en déroute. Peut-on vraiment croire à une armée « modèle » dans un tel contexte ?
Les Civils dans la Tourmente
Pour beaucoup de civils, rejoindre le M23 est un pari risqué mais pragmatique. Une jeune femme, qui rêve de réguler la circulation, incarne cette ambivalence. « Je veux juste subvenir à mes besoins », dit-elle. Dans une région où le **chômage** frappe durement, l’uniforme devient une bouée de sauvetage. Mais à quel prix ? Les recrues savent-elles vraiment dans quoi elles s’engagent ?
Focus : Dans l’est de la RDC, le manque d’emplois pousse des jeunes à des choix extrêmes. Le M23 l’a bien compris.
Les chiffres parlent d’eux-mêmes : sur les 1 320 civils recrutés, une part significative n’a aucune expérience préalable. Ces profils, souvent jeunes, sont malléables mais vulnérables. Une aubaine pour un groupe cherchant à asseoir son autorité.
Un Recrutement Sous Tension
Si le M23 met en avant le « volontariat », des observateurs restent sceptiques. Dans une ville sous contrôle militaire, difficile de distinguer l’élan sincère de la pression implicite. D’après une source proche, « les gens ont peur de dire non ». Cette ambiguïté plane sur chaque nouvelle recrue, qu’elle soit civile ou ex-soldat.
Profil | Nombre | Destination |
Anciens policiers | 1 800 | Recyclage Nord-Kivu |
Anciens militaires | 750 | Intégration ARC |
Civils | 1 320 | Formation Nord-Kivu |
Ce tableau révèle l’ampleur de l’opération. Mais il cache aussi les incertitudes : combien de ces recrues resteront fidèles au M23 à long terme ?
Un Tournant pour la RDC ?
L’est de la RDC vit une mutation profonde. Le M23, avec ses promesses de discipline et de justice, s’impose comme une alternative dans un pays miné par la corruption et l’instabilité. Pourtant, son ascension fulgurante inquiète. Soutenu par des forces étrangères, selon des rapports d’experts, le groupe pourrait redessiner les rapports de pouvoir dans la région. Mais à quel coût pour la population ?
Entre espoir et crainte, les habitants de Bukavu observent. Pour certains, c’est une chance de sortir du chaos. Pour d’autres, un engrenage vers un conflit encore plus vaste. Une chose est sûre : cette mobilisation massive marque un point de bascule dont les répercussions se feront sentir bien au-delà des rives du lac Kivu.