C’est une nouvelle bouleversante dans la quête de vérité sur les crimes de la dictature argentine. Les Grands-mères de la Place de Mai ont annoncé mardi avoir retrouvé la trace de la « petite-fille N°139 », un bébé volé il y a près de 50 ans, arraché à ses parents militants enlevés par le régime. Une découverte émouvante qui ravive la mémoire de cette sombre période de l’histoire argentine.
Le combat inlassable des Grands-mères de la Place de Mai
Depuis la fin de la dictature en 1983, l’organisation des Grands-mères de la Place de Mai lutte sans relâche pour retrouver les enfants volés sous le régime militaire. On estime qu’environ 300 bébés ont été arrachés à leurs mères détenues, pour être confiés à des familles proches du pouvoir. Un plan systématique d’appropriation d’enfants, destiné à les priver de leur identité et de leurs racines.
Pendant 47 ans, les Grands-mères ont remué ciel et terre pour localiser ces enfants disparus. Recoupant les informations, suivant les pistes, multipliant les appels à témoins. Un travail de fourmi animé par un seul objectif : rendre leur identité à ces orphelins de la dictature. Aujourd’hui, c’est une nouvelle victoire dans ce long combat pour la vérité.
La « petite-fille 139 », fille de militants disparus
La « petite-fille » retrouvée, âgée aujourd’hui de 47 ou 48 ans, est née entre janvier et février 1978. Ses parents, Noemi Beatriz Macedo et Daniel Alfredo Inama, étaient des militants marxistes-léninistes. Ils ont été enlevés en novembre 1977, alors que Noemi était enceinte de 6 à 7 mois. Le couple a ensuite disparu, probablement assassiné par le régime.
L’enfant a été identifiée grâce à un test ADN. Elle a un frère et une sœur biologiques, qui ont aussi été volés à la naissance et retrouvés précédemment par les Grands-mères. Ramon, le frère, était présent lors de l’annonce publique mardi. Très ému, il a confié que sa sœur avait « les yeux de leur grand-mère », la mère de leur père disparu.
La quête de mémoire, de vérité et de justice continue
Avec cette 139ème identification, les Grands-mères de la Place de Mai prouvent que leur détermination reste intacte. Malgré le temps qui passe et les obstacles, elles continuent de se battre pour que la vérité éclate sur les crimes de la dictature. Un combat d’autant plus crucial que cette sombre page de l’histoire reste soumise à des controverses.
Le nouveau président ultralibéral Javier Milei a ainsi récemment contesté le bilan officiel des 30 000 disparus, ramenant ce chiffre à moins de 9 000. Des propos qui inquiètent les défenseurs des droits de l’homme, dans un contexte de réduction des effectifs du Secrétariat dédié à ces questions. Face à ces tentatives de réécriture de l’histoire, le combat des Grands-mères apparaît plus que jamais essentiel.
Inexorablement, la vérité sur les crimes de la dictature continue de sortir au jour
Estela de Carlotto, présidente des Grands-mères de la Place de Mai
Comme l’a souligné Estela de Carlotto, la présidente de l’association, « inexorablement, la vérité sur les crimes de la dictature continue de sortir au jour ». Chaque enfant retrouvé est une nouvelle victoire contre l’oubli et l’impunité. Une manière de rendre hommage aux disparus et d’honorer leur mémoire.
Le long chemin vers la restitution d’identité
Pour les enfants volés, le chemin vers la découverte de leur identité est souvent long et douloureux. Beaucoup ont grandi dans l’ignorance de leur histoire, élevés par les familles qui les ont illégalement adoptés. Apprendre la vérité sur leurs origines est un choc immense, qui les confrontent à la tragédie vécue par leurs parents biologiques.
Mais c’est aussi le début d’une nouvelle vie, la possibilité de renouer avec leurs racines et leur famille légitime. Les retrouvailles avec les Grands-mères ou les frères et sœurs sont souvent intenses en émotions. Tout un pan de leur histoire personnelle leur est révélé, leur permettant enfin de se reconstruire dans la vérité.
Conscientes du traumatisme, les Grands-mères accompagnent ces enfants devenus adultes avec patience et délicatesse. Leur offrant un espace bienveillant pour appréhender cette nouvelle réalité. Tout est fait pour respecter leur cheminement et leurs choix, y compris celui de conserver l’anonymat s’ils le souhaitent. Car au-delà de la geste publique, c’est avant tout une histoire intime et personnelle qui se joue.
Un exemple pour le monde entier
Par leur combat acharné, leur ténacité hors du commun, les Grands-mères de la Place de Mai sont devenues un symbole mondialement reconnu de la lutte contre l’oubli et pour les droits humains. Leur exemple a inspiré des mouvements similaires dans d’autres pays d’Amérique latine ayant aussi connu des dictatures militaires, comme le Chili ou l’Uruguay.
Leur expérience a aussi permis de grandes avancées en matière d’identification des personnes disparues, notamment grâce à la génétique. La « Banque Nationale de Données Génétiques », créée à leur initiative, est une pionnière mondiale dans ce domaine. Ces techniques ont depuis essaimé pour aider à résoudre de nombreux cas de disparitions à travers le monde.
Mais au-delà des avancées scientifiques, c’est surtout le message porté par les Grands-mères qui résonne universellement. Un message de vérité, de justice et de résilience face à l’adversité. Elles incarnent le refus de l’oubli et de l’impunité, la nécessité de faire la lumière sur les pages sombres de l’histoire pour construire une société apaisée.
Les défis à venir
Malgré les victoires et la reconnaissance internationale, le combat des Grands-mères est loin d’être terminé. Sur les quelques 300 enfants volés recensés, seuls 139 ont été identifiés à ce jour. Il reste donc encore de nombreuses familles dans l’attente de retrouver leurs petits-enfants disparus.
Avec le temps qui passe, la tâche se complique. Les témoins et les protagonistes de l’époque disparaissent peu à peu, emportant avec eux de précieuses informations. Les pistes s’amenuisent, les preuves s’effacent. C’est une course contre la montre qui est engagée pour résoudre le plus de cas possibles.
L’autre grand défi est la transmission de cette mémoire aux nouvelles générations. À l’heure où les témoins directs se font de plus en plus rares, il est crucial que le flambeau soit repris par les jeunes, pour que cette histoire ne sombre pas dans l’oubli. Un travail de pédagogie et de sensibilisation est mené en ce sens, notamment à travers l’Espace Mémoire créé sur le site de l’ancienne ESMA, sinistre centre de torture de la dictature.
Car n’oublions jamais que derrière les histoires individuelles des enfants volés, c’est tout le passé tragique de l’Argentine qui se dévoile. Un passé fait de violences, d’injustices et de dérives totalitaires, qui a meurtri toute une société. En restaurant la vérité et la mémoire, les Grands-mères œuvrent à la réconciliation du pays avec lui-même et à la construction d’un avenir plus juste et apaisé.
La route est encore longue, mais leur détermination reste intacte. Comme le dit Estela de Carlotto, « nous continuerons à chercher jusqu’au dernier souffle ». Pour tous les enfants qui manquent encore à l’appel, pour toutes les familles qui espèrent, pour que plus jamais l’Argentine ne connaisse une telle tragédie. Le combat des Grands-mères est un combat pour l’humanité toute entière, un rappel puissant de la force invincible de l’amour et de la vérité face à la barbarie.