La disparition de Jean-Marie Le Pen, figure aussi majeure que clivante de la vie politique française, soulève l’épineuse question de son héritage au sein du parti qu’il a cofondé, le Front National devenu Rassemblement National. Son successeur à la tête du mouvement, Jordan Bardella, se retrouve face à un défi de taille : concilier le respect dû au « patriarche » avec la ligne de dédiabolisation engagée depuis plusieurs années.
Un héritage politique sulfureux
Invité sur CNews au lendemain de l’hommage rendu à Jean-Marie Le Pen, Jordan Bardella a voulu rendre honneur à celui qu’il considère comme un « visionnaire » sur des sujets comme l’immigration, tout en prenant ses distances avec les nombreuses controverses qui ont jalonné son parcours. Le jeune président du RN estime qu’on ne peut « résumer 50 ans de vie politique à quelques polémiques ou propos condamnés par la justice ».
Pourtant, la carrière de Jean-Marie Le Pen a été rythmée par les dérapages verbaux et sorties polémiques, de ses déclarations sur les chambres à gaz « point de détail de l’histoire » à son jeu de mots douteux « Durafour-crématoire ».
On ne peut pas résumer 50 ans de vie politique à quelques polémiques.
Jordan Bardella, sur CNews
La rupture engagée par Marine Le Pen
C’est précisément sur ces outrances que Marine Le Pen, fille et successeur de Jean-Marie à la tête du FN en 2011, a engagé une rupture idéologique avec son père. Celui-ci sera finalement exclu du parti en 2015 après de nouvelles déclarations polémiques sur la Shoah.
Cette mise à l’écart a marqué un tournant dans la stratégie de normalisation du Front National, rebaptisé Rassemblement National en 2018. L’objectif : se défaire de l’image sulfureuse héritée des années Jean-Marie Le Pen pour rendre le parti plus fréquentable et électoralement efficace.
Entre condamnation et hommage
Mais avec la disparition de l’ancien leader frontiste, ses héritiers se retrouvent dans une position inconfortable. Condamner trop ouvertement son bilan reviendrait à renier les racines du mouvement, au risque de s’aliéner une partie des militants historiques. À l’inverse, encenser sans nuance Jean-Marie Le Pen et sa radicalité d’antan compromettrait les efforts de crédibilisation.
Jordan Bardella a donc opté pour un subtil numéro d’équilibriste dans son hommage à celui qu’il qualifie d' »artisan de polémiques » mais aussi de « premier à avoir porté certains sujets ». Une façon de revendiquer un héritage politique sur le fond, tout en le débarrassant de ses outrances de forme.
Quel avenir pour la ligne Le Pen ?
Le décès de Jean-Marie Le Pen marque assurément la fin d’une époque pour le parti lepéniste. Mais il soulève aussi des interrogations sur son avenir idéologique : la stratégie de dédiabolisation est-elle pérenne ou le RN sera-t-il tenté de renouer avec une ligne plus radicale ?
D’après des sources proches de la direction du parti, les prochains mois seront décisifs. Les résultats en demi-teinte aux dernières élections et le raidissement observé sur la scène politique nationale pourraient favoriser un « retour aux fondamentaux », voire une surenchère dans la radicalité identitaire et sécuritaire.
À l’inverse, le succès de la stratégie de normalisation, qui a permis au RN de s’ancrer durablement dans le paysage politique, plaide pour sa continuation. Jordan Bardella aura la délicate tâche d’incarner cette ligne, sans se couper des nostalgiques de l’ère Jean-Marie Le Pen qui restent influents au sein du parti.
Le défi, c’est de revendiquer l’héritage de Jean-Marie Le Pen sans en épouser les excès. Un sacré numéro d’équilibriste en perspective pour Jordan Bardella.
Un cadre du RN
Une chose est sûre : la disparition de Jean-Marie Le Pen ne signera pas celle des idées qu’il a contribué à implanter durablement dans le débat public, de l’immigration à l’identité nationale en passant par le souverainisme. Des thématiques que ses héritiers continueront à porter, d’une manière ou d’une autre.
Pour Jordan Bardella et le Rassemblement National, l’enjeu est désormais de construire un « lepénisme » sans les outrances de Le Pen, un défi aussi périlleux que déterminant pour l’avenir du premier parti d’opposition français.