La Corée du Sud est plongée dans une crise politique majeure alors que le président suspendu Yoon Suk Yeol défie ouvertement les enquêteurs venus l’arrêter. Ce nouveau rebondissement ne fait qu’aggraver le chaos qui règne dans le pays depuis la tentative avortée du dirigeant conservateur d’imposer la loi martiale en décembre dernier. Retranché dans sa résidence et protégé par sa garde rapprochée, Yoon Suk Yeol semble déterminé à ne pas se laisser appréhender, jetant de l’huile sur le feu d’une situation déjà explosive.
Une journée sous haute tension
L’opération coup de poing menée ce mercredi par les agents du CIO, l’entité en charge de l’enquête sur le président, s’annonçait délicate. Et pour cause : déjà le 3 janvier, une première tentative d’interpellation s’était soldée par un échec cuisant, les enquêteurs se heurtant à un mur formé par le Service de sécurité présidentiel (PSS). Cette fois-ci encore, la mission s’est avérée impossible. Arrivés avant l’aube au domicile de Yoon Suk Yeol, les limiers du CIO ont vu leur route barrée par des agents surmotivés, bien décidés à défendre leur patron coûte que coûte.
Selon des sources proches de l’enquête, les deux camps seraient actuellement engagés dans un « affrontement physique », le PSS refusant obstinément de laisser passer les enquêteurs malgré la présentation d’un ordre d’arrêt en bonne et due forme. « Ils essaient d’entrer par la force, mais la garde rapprochée leur barre la route », a déclaré un témoin de la scène sous couvert d’anonymat. Une impasse qui cristallise toutes les tensions et attise les peurs d’un dérapage incontrôlé.
Un coup de force qui tourne au fiasco
Le feuilleton politico-judiciaire qui tient en haleine la Corée du Sud depuis des semaines trouve son origine dans la décision controversée de Yoon Suk Yeol d’imposer la loi martiale le 3 décembre dernier. Arguant d’une menace nord-coréenne, le président avait justifié cette mesure d’exception par sa volonté de « protéger le pays des forces communistes » et d' »éliminer les éléments hostiles à l’État ». Un véritable coup de force qui a immédiatement suscité l’indignation de l’opinion publique et la réprobation de la classe politique.
Mais le dirigeant conservateur avait dû rapidement déchanter. Réunis en urgence dans un parlement cerné par les soldats, les députés ont adopté à une large majorité un texte exigeant la levée immédiate de la loi martiale. Lâché par son propre camp, critiqué de toutes parts, Yoon Suk Yeol s’est retrouvé dos au mur, contraint de renoncer à son projet sous la pression de la rue et des institutions. Un camouflet cinglant pour ce procureur érigé en héraut de la lutte anticorruption, qui voyait en son accession à la présidence l’aboutissement d’une fulgurante ascension politique.
Procès en destitution : l’épée de Damoclès
Suspendu de ses fonctions depuis le 14 décembre après l’adoption d’une motion de destitution par l’Assemblée nationale, Yoon Suk Yeol voit désormais son avenir politique s’assombrir un peu plus chaque jour. Car le coup de force manqué du président n’est pas resté sans conséquences : outre la vague de réprobation qu’il a suscitée dans l’opinion, il a enclenché une procédure de destitution qui pourrait se solder par son éviction définitive du pouvoir.
C’est la Cour constitutionnelle qui est chargée de trancher le sort du dirigeant conservateur. L’instance suprême a entamé mardi l’examen du dossier, mais la première audience, très courte, s’est déroulée en l’absence de l’intéressé. Invoquant des « inquiétudes » pour sa sécurité, les avocats de Yoon Suk Yeol ont renoncé à le faire comparaître pour cette séance inaugurale. Le procès se poursuivra cependant, avec ou sans lui, et pourrait durer jusqu’à six mois. Une véritable épée de Damoclès pour le président suspendu, qui risque à tout moment d’être démis de ses fonctions.
Une démocratie fragilisée
Au-delà du cas personnel de Yoon Suk Yeol, c’est toute la démocratie sud-coréenne qui vacille sur ses bases. Propulsée en quelques décennies au rang de puissance économique et technologique de premier plan, la Corée du Sud n’en reste pas moins un pays profondément divisé, où les clivages politiques attisent les tensions et minent la cohésion nationale. La tentative de coup de force du président, aussi brève fut-elle, a ravivé le spectre des heures sombres de la dictature militaire et fait resurgir des blessures jamais vraiment refermées.
« Ce qui se passe actuellement est très inquiétant pour notre démocratie. On a l’impression de revenir 40 ans en arrière, quand les généraux faisaient la loi. Il faut absolument que les institutions tiennent bon et sanctionnent ces dérives autoritaires, sinon c’est tout l’édifice démocratique qui risque de s’effondrer. »
– Park Min-jung, politologue à l’université de Séoul
Reste à savoir si la Corée du Sud saura surmonter cette nouvelle épreuve et faire front commun contre les menaces qui pèsent sur son modèle démocratique. La fronde citoyenne qui a suivi le coup de force de Yoon Suk Yeol, réunissant dans la rue des milliers de manifestants prodémocratie, a montré que la société civile restait un contre-pouvoir vigilant et déterminé. Mais la bataille est loin d’être gagnée, comme en témoigne le face-à-face tendu qui se joue actuellement devant la résidence présidentielle entre les enquêteurs et la garde rapprochée du chef de l’État.
Dans ce bras de fer à haut risque, c’est l’avenir de la jeune démocratie sud-coréenne qui se joue. Soixante-quinze ans après sa fondation dans la foulée de la Seconde Guerre mondiale, la République de Corée est à la croisée des chemins, écartelée entre ses vieux démons autoritaires et ses aspirations démocratiques. L’issue de la crise, suspendue à la décision de la Cour constitutionnelle, dira si le « pays du Matin calme » a définitivement tourné la page de la dictature ou s’il reste vulnérable aux sirènes du pouvoir personnel. Une chose est sûre : le monde entier aura les yeux rivés sur Séoul dans les mois à venir.