En 2009, le Bangladesh a été secoué par une mutinerie militaire d’une ampleur et d’une violence inouïes. Des milliers de soldats se sont soulevés, s’emparant d’armes et tuant de nombreux officiers dans plusieurs casernes à travers le pays. Mais 15 ans après, de troublantes zones d’ombre persistent autour de cet évènement qui a ébranlé la nation.
Face aux accusations de plus en plus pressantes, le gouvernement bangladais vient d’ordonner la création d’une commission d’enquête pour faire toute la lumière sur ce drame. Au cœur des interrogations : le rôle qu’aurait joué Sheikh Hasina, Première ministre à l’époque, ainsi que de potentielles interférences étrangères.
Le spectre d’un complot au plus haut niveau
Depuis la chute de Sheikh Hasina en août dernier, renversée par une révolution puis exilée en Inde, les langues se délient. Les familles des soldats tués durant la répression de la mutinerie mènent une campagne acharnée pour que l’enquête soit rouverte. Elles accusent ouvertement l’ex-dirigeante d’avoir orchestré un plan machiavélique pour affaiblir l’armée et renforcer son propre pouvoir, dans un pays habitué aux coups d’État.
Des soupçons renforcés par les liens étroits qu’entretenait le régime de Hasina avec New Delhi. L’Inde est désormais pointée du doigt pour son rôle trouble dans cette crise. Selon certains manifestants, des « soutiens étrangers » auraient contribué à attiser la colère des mutins en sous-main, pour mieux déstabiliser le pays.
Une répression brutale et opaque
Lorsque la rébellion a éclaté en février 2009, la réponse du gouvernement Hasina a été d’une fermeté implacable. Après que les mutins aient pris le contrôle de plusieurs casernes, volé des milliers d’armes et exécuté de nombreux officiers, l’armée est intervenue pour écraser le soulèvement dans le sang. Des centaines, voire des milliers de soldats ont été arrêtés.
S’en est suivi un vaste procès devant des tribunaux militaires spéciaux, vivement critiqué par les Nations unies. Environ 6000 soldats ont été jugés dans des conditions souvent opaques. Les peines prononcées ont été d’une sévérité extrême : de longues années de prison pour certains, la peine capitale pour d’autres. De nombreuses voix ont dénoncé une justice expéditive et partiale, instrument d’une vengeance d’État.
La colère des soldats, terreau de la révolte
Une précédente commission d’enquête, menée sous l’ère Hasina, avait conclu que la mutinerie était avant tout le résultat d’un profond malaise au sein de la troupe. Pendant des années, le ressentiment des soldats s’était accumulé, nourri par des revendications salariales et des demandes de meilleur traitement constamment ignorées.
Les mutins voulaient de meilleures conditions de vie et de travail, être traités avec respect. Mais le gouvernement est resté sourd à leurs appels, jusqu’à l’explosion de violence.
– Un ancien officier des Bangladesh Rifles
Cependant, beaucoup jugent cette explication insuffisante et y voient une tentative de masquer les véritables instigateurs de la crise. Pour eux, la contestation des soldats a été récupérée et instrumentalisée par des forces politiques cherchant à déstabiliser le pouvoir.
Révéler la vérité, un impératif pour le Bangladesh
Plus de 80 personnes ont péri durant la mutinerie et sa répression, essentiellement des officiers. Pour leurs proches, obtenir la vérité et la justice est un combat crucial qui est loin d’être terminé. Ils espèrent que la nouvelle commission d’enquête, instituée par le gouvernement post-Hasina, fera enfin toute la lumière sur ce tragique épisode.
Nous visons à déterminer si une entité étrangère a été impliquée dans le carnage, car des accusations de complot national et international ont été soulevées.
– A.L.M. Fazlur Rahman, chef de la commission d’enquête
Le travail des enquêteurs s’annonce long et complexe. Il leur faudra démêler l’écheveau d’intérêts et de manipulations qui semblent s’être noués autour de cette mutinerie, pour déterminer les véritables responsabilités. Un enjeu majeur pour offrir des réponses aux familles des victimes et permettre au Bangladesh de se réconcilier avec ce passé douloureux.
La quête de vérité est aussi celle d’un pays qui aspire à tourner la page de l’ère Hasina et de ses zones d’ombre. Pour construire l’avenir, le Bangladesh doit d’abord affronter les fantômes de son histoire récente et s’assurer qu’un tel drame ne puisse plus jamais se reproduire.