La polémique enfle autour du lycée musulman Al-Kindi, situé à Décines-Charpieu dans la banlieue de Lyon. Cet établissement privé sous contrat, dans le viseur d’une procédure préfectorale pouvant conduire au retrait de sa convention avec l’État, a décidé de porter plainte pour diffamation contre Laurent Wauquiez. En cause : les propos très durs tenus par l’ex-président de la région Auvergne-Rhône-Alpes à l’encontre du lycée.
Wauquiez dénonce une « dérive islamiste » et des manquements
Dans une vidéo publiée vendredi, Laurent Wauquiez, désormais député LR de Haute-Loire, a annoncé son intention de suspendre les subventions régionales versées à Al-Kindi. Il y dresse un réquisitoire sévère contre l’établissement, évoquant pêle-mêle la présence d’ouvrages wahhabites et fréristes dans la bibliothèque, dont certains feraient « la promotion du djihad violent », une proximité supposée entre le président fondateur et les Frères musulmans, ou encore l’enseignement de « la soumission de la femme à l’homme ».
Mais c’est surtout une autre de ses accusations qui a mis le feu aux poudres. S’appuyant sur les conclusions d’une inspection menée en avril dernier par les services académiques, M. Wauquiez affirme que le lycée présenterait de graves lacunes dans l’enseignement de certains sujets sensibles. « Le génocide juif pendant la guerre n’est plus enseigné », a-t-il notamment déclaré, suscitant un tollé.
Le lycée dénonce des « accusations grossières »
Face à ce qu’il qualifie d’« accusations grossières », contredites selon lui lors d’une commission en préfecture la semaine passée, le lycée Al-Kindi a choisi de contre-attaquer en portant plainte pour diffamation via son avocat, Me Sefen Guez Guez. Ce dernier dénonce une instrumentalisation de la mémoire de la Shoah par l’élu LR, assurant qu’Al-Kindi « s’engage activement dans le travail de mémoire », citant des visites au centre de la mémoire arménienne ou à la maison d’Izieu.
L’établissement conteste également les autres griefs formulés dans le rapport d’inspection, évoquant des « manquements » auxquels il assure avoir remédié. Le règlement intérieur jugé discriminatoire a été modifié, les ouvrages controversés retirés du CDI, et un professeur tenant des propos problématiques a été licencié, fait valoir Me Guez Guez.
Bras de fer autour des financements publics
Au-delà de la plainte contre Laurent Wauquiez, le lycée entend également saisir la justice administrative pour forcer la région à honorer les 150 000 euros annuels de subventions prévus dans le cadre de son contrat avec l’État. Une « obligation légale » selon l’avocat, qui rappelle avoir déjà obtenu la condamnation de la région des Hauts-de-France dans un dossier similaire concernant le lycée lillois Averroès.
De son côté, M. Wauquiez assume ses critiques et n’entend pas reculer. Dans une déclaration au Figaro, il juge « calamiteux » le rapport d’inspection et estime qu’« on ne peut pas tout mettre sur le même plan », pointant « une dérive dangereuse » méritant une réponse ferme. C’est désormais à la préfète du Rhône, Fabienne Buccio, de trancher sur l’avenir de la convention liant Al-Kindi à l’Éducation nationale. Sa décision, attendue mi-janvier, conditionnera le maintien des 1,6 million d’euros de financement étatique dont bénéficie l’établissement via la prise en charge du salaire des enseignants.
L’affaire divise jusqu’à la classe politique
La controverse autour d’Al-Kindi agite jusqu’aux rangs politiques. Si la gauche, par la voix des élus LFI du Rhône, dénonce une rupture d’égalité et réclame un traitement équitable de tous les établissements sous contrat, la droite applaudit la fermeté affichée par la région. Une ligne également défendue par le ministre de l’Éducation Pap Ndiaye, qui rappelait en novembre attendre des écoles privées sous contrat une « stricte conformité avec les valeurs de la République ».
Hasard du calendrier, le cas d’Al-Kindi intervient alors que l’exécutif a fait de la lutte contre le séparatisme et les dérives communautaristes une priorité, avec un projet de loi présenté début décembre. Le ministre de l’Intérieur Gérald Darmanin a d’ailleurs apporté son « entier soutien » à la préfète dans ce dossier emblématique. Preuve que ce bras de fer dépasse largement les murs d’un lycée de banlieue lyonnaise, pour questionner la place de l’islam dans l’école et la société française.