Un procès historique s’apprête à s’ouvrir à Paris. Madjaliwa Safari, un commerçant hutu rwandais de 59 ans installé en France depuis 2009, comparaîtra devant la cour d’assises spéciale pour « génocide » et « crimes contre l’humanité ». Il est accusé d’avoir participé activement au génocide des Tutsis qui a ensanglanté le Rwanda entre avril et juillet 1994, faisant près d’un million de victimes.
Un rôle clé dans les exécutions à une barrière
Selon l’ordonnance de mise en accusation, Madjaliwa Safari aurait été l’un des responsables de la tristement célèbre barrière « Chez Premier », dans le sud du Rwanda. Ces barrières avaient pour sinistre objectif de contrôler l’ethnie des personnes via leurs papiers d’identité et d’exécuter celles issues de la minorité tutsi. Hommes, femmes, enfants, personne n’était épargné dans cette folie meurtrière.
De nombreux témoins affirment que Safari portait des armes comme un fusil, une machette ou une hache, et qu’il était l’adjoint du responsable de la barrière. Il est soupçonné d’avoir ordonné et participé à l’exécution de civils tutsi, dont des enfants, dans les préfectures de Gitarama et Butare entre avril et juillet 1994. Des crimes innommables qui ont marqué à jamais l’histoire du pays des mille collines.
La défense conteste et dénonce une dimension politique
Face à ces terribles accusations, Madjaliwa Safari clame son innocence. Son avocat, Me Philippe Meilhac, a annoncé qu’il contestait « catégoriquement » les charges retenues et qu’il ferait appel de sa mise en accusation. Il dénonce la « dimension de plus en plus politique » du traitement des dossiers de ressortissants rwandais poursuivis en France, et estime que les juges se sont appuyés sur des « témoignages particulièrement peu crédibles ».
« Je constate – sans surprise, car c’est une constante dans ces dossiers – que les juges d’instruction ont suivi religieusement les réquisitions qui se fondent pourtant sur des témoignages particulièrement peu crédibles, qui émanent pour l’essentiel de personnes condamnées pour des faits similaires à ceux reprochés à mon client », a déclaré Me Meilhac.
Un passé trouble au Rwanda
L’enquête a révélé que Madjaliwa Safari avait déjà été condamné en 2007 à 15 ans de prison par un tribunal populaire rwandais (gacaca) pour son rôle pendant le génocide, mais qu’il n’avait pas exécuté sa peine. Arrivé en France en 2009, il avait obtenu le statut de réfugié en 2017 et gérait un magasin près de Tours, avant d’être arrêté en juillet 2023.
Lors de son interrogatoire, Safari a reconnu avoir gardé la barrière de Bigega pendant « 2-3 semaines », car « c’était obligatoire à ce moment-là », mais il nie y avoir joué un rôle particulier, affirmant avoir dû s’occuper de son père blessé. Une version qui ne convainc pas les magistrats instructeurs au vu des nombreux témoignages accablants.
Un procès pour l’Histoire
Ce procès s’annonce comme l’un des plus importants jamais tenus en France concernant le génocide des Tutsis au Rwanda. Il permettra de faire la lumière sur le rôle et les responsabilités des acteurs locaux dans ce drame qui a choqué le monde entier par sa cruauté et son ampleur.
Le génocide des Tutsi au Rwanda, orchestré par le régime extrémiste hutu au pouvoir, a fait près d’un million de morts entre avril et juillet 1994. Ce processus d’extermination systématique a visé sans distinction la minorité tutsi : voisins, amis, hommes, femmes, enfants, vieillards, mais aussi des Hutu modérés.
Près de 30 ans après, les plaies sont toujours vives et la quête de justice se poursuit. Au-delà de l’accusé, c’est tout un pan de l’Histoire qui sera jugé. Un devoir de mémoire essentiel pour honorer les victimes et tenter de comprendre l’incompréhensible. Pour que plus jamais l’humanité ne connaisse une telle tragédie.