Le pacte vert européen, projet phare de la Commission européenne visant à faire de l’Europe le premier continent neutre en carbone d’ici 2050, se trouve aujourd’hui à un tournant. Alors qu’Ursula von der Leyen entamait son second mandat à la tête de l’exécutif européen fin 2024, les doutes s’accumulent quant à la capacité de l’UE à tenir ses ambitieux objectifs climatiques tout en préservant sa compétitivité économique. Une équation complexe qui suscite de vifs débats et pourrait redéfinir les priorités du pacte vert pour les années à venir.
Un projet emblématique face aux défis de la compétitivité
Lancé en décembre 2019, le pacte vert européen avait pour objectif de réduire les émissions de gaz à effet de serre de l’UE d’au moins 55% d’ici 2030 par rapport aux niveaux de 1990, avec pour horizon ultime la neutralité carbone en 2050. Un défi colossal impliquant une transformation profonde et rapide de l’économie européenne, de la production d’énergie aux transports en passant par l’industrie et l’agriculture.
Mais alors que l’Europe se relève à peine de la crise du Covid-19 et doit faire face à une concurrence internationale accrue, la question de la compatibilité entre cette transition écologique accélérée et le maintien de la compétitivité des entreprises européennes se pose avec une acuité renouvelée. Déjà en mai 2023, le président français Emmanuel Macron avait appelé à une « pause réglementaire » sur certains aspects du pacte vert, afin de ne pas pénaliser davantage les acteurs économiques.
Agriculture et industrie : les secteurs sous pression
Parmi les volets les plus controversés du pacte vert figurent les nouvelles contraintes environnementales imposées à l’agriculture, avec notamment une réduction de l’utilisation des pesticides. Face à la colère du monde paysan, plusieurs pays, dont la France, ont obtenu des assouplissements, arguant du risque pour la sécurité alimentaire et les revenus des agriculteurs.
L’industrie est elle aussi en première ligne, avec la mise en place progressive d’un mécanisme d’ajustement carbone aux frontières de l’UE et la révision du marché carbone européen. Si ces mesures visent à éviter les « fuites de carbone » vers des pays aux normes environnementales moins strictes, elles font craindre une perte de compétitivité pour certains secteurs exposés comme la sidérurgie ou la chimie.
Trouver un nouveau point d’équilibre
Pour tenter de concilier l’ambition climatique et les impératifs économiques, la Commission von der Leyen II mise désormais sur un « pacte pour une industrie propre ». L’objectif : favoriser les investissements dans les technologies vertes et les chaînes de valeur stratégiques, afin de faire de l’Europe un leader mondial de la transition bas-carbone.
Nous devons garder le cap sur les objectifs du pacte vert européen, et nous allons le faire.
Ursula von der Leyen, présidente de la Commission européenne
Cela passera notamment par un assouplissement temporaire des règles sur les aides d’État, afin de permettre aux États membres de soutenir massivement leur industrie face à la concurrence des subventions américaines ou chinoises. Un pari risqué, qui pourrait creuser les écarts entre pays européens et soulève des questions en termes de souveraineté technologique.
Quelle acceptabilité sociale et politique ?
Au-delà des ajustements techniques, c’est bien la question de l’acceptabilité sociale et politique du pacte vert qui est posée. Dans un contexte de crise du pouvoir d’achat et de montée des populismes, la transition écologique peine à convaincre une partie de l’opinion publique européenne. Selon une enquête réalisée en janvier 2024 par l’Eurobaromètre, seuls 47% des Européens considèrent la lutte contre le changement climatique comme une priorité, contre 62% en 2019.
Un signal inquiétant à l’approche des élections européennes de 2024, où les partis eurosceptiques et climato-sceptiques pourraient progresser. Dans ce contexte, la Commission devra redoubler d’efforts pour démontrer que le pacte vert n’est pas l’ennemi de l’emploi et de la prospérité, mais au contraire un levier pour construire une économie européenne plus résiliente et durable à long terme.
Renforcer les alliances internationales
Enfin, l’avenir du pacte vert se jouera aussi sur la scène internationale. Face au retour en force des énergies fossiles avec la guerre en Ukraine et à la réticence de grands émergents comme la Chine ou l’Inde à accélérer leur transition bas-carbone, l’Europe ne peut plus faire cavalier seul. Elle doit au contraire tisser des alliances avec les pays partageant la même ambition climatique, à commencer par les États-Unis depuis l’élection de Joe Biden.
C’est tout l’enjeu du prochain sommet UE-USA sur le climat prévu en juin 2024, qui devrait déboucher sur un nouveau partenariat transatlantique pour le développement durable. L’occasion pour l’Europe de peser davantage dans les négociations internationales, à un an de la COP35 qui s’annonce cruciale pour l’avenir de l’Accord de Paris.
Malgré les turbulences, le pacte vert européen reste plus que jamais une boussole indispensable pour guider la transition écologique du Vieux Continent. Charge à Ursula von der Leyen et son équipe de trouver le bon cap, entre urgence climatique et réalisme économique. Un défi ardu, mais dont dépendra en grande partie la place de l’Europe dans le monde de demain.