La décision du Tchad de mettre fin à l’accord de coopération militaire qui le liait à la France depuis des décennies marque un tournant majeur dans les relations entre l’ancienne puissance coloniale et ce pays d’Afrique centrale. Annoncée à la surprise générale jeudi soir par le chef de la diplomatie tchadienne, cette résiliation unilatérale soulève de nombreuses questions sur l’avenir de la présence française dans la région et les nouvelles orientations stratégiques du régime de N’Djamena.
Un geste fort à l’approche des élections
Le timing de cette annonce n’est pas anodin. Elle intervient le jour même de la fête nationale tchadienne célébrant la proclamation de la République en 1958, et à un mois seulement des élections législatives et locales prévues le 29 décembre dans le pays. Pour le chef de l’État, le général Mahamat Idriss Deby Itno, il s’agit de lancer « un signal fort » en affirmant la « souveraineté totale » du Tchad, selon une source proche du pouvoir.
Mais cette décision soudaine suscite aussi des interrogations sur les motivations réelles du gouvernement tchadien. S’agit-il d’une manœuvre populiste visant à désamorcer les critiques croissantes sur sa légitimité à l’approche d’un scrutin déjà boycotté par les principaux partis d’opposition? D’une pression exercée par de nouveaux partenaires stratégiques désireux de redéfinir l’influence géopolitique dans la région? Ou d’un véritable désir d’émancipation et d’indépendance dans les affaires de défense et de sécurité?
Remise en cause de l’influence française au Sahel
Quelles qu’en soient les raisons, cette décision marque un nouveau coup dur pour la France au Sahel. Après avoir été contrainte d’évacuer ses troupes du Mali, du Burkina Faso et du Niger entre 2022 et 2023 suite à l’arrivée au pouvoir de juntes militaires pro-russes, Paris voit son dernier point d’ancrage régional lui échapper. Malgré l’annonce d’une réduction de ses effectifs, l’armée française comptait encore près d’un millier de soldats stationnés sur trois bases au Tchad.
Au-delà du cas tchadien, c’est toute la stratégie africaine de la France qui semble remise en question. L’appel lancé mercredi par le président sénégalais en faveur d’une fermeture des bases françaises dans son pays témoigne de la défiance grandissante envers l’ancienne puissance coloniale. Face à ces vents contraires, Paris tente de promouvoir un « partenariat renouvelé » et « co-construit » avec ses alliés africains. Mais la tâche s’annonce ardue tant la rupture des liens tissés depuis les indépendances semble profonde et durable.
Un avenir incertain pour le Tchad et la région
Pour le Tchad, l’après-accord de défense avec la France ouvre une période d’incertitudes. Le pays pourra-t-il assurer seul sa sécurité face aux multiples menaces internes et externes auxquelles il est confronté, du conflit avec les rebelles du nord à l’instabilité chronique à ses frontières? Vers quels partenaires se tournera-t-il pour combler le vide laissé par le retrait français et moderniser ses forces armées? La Russie, déjà très présente dans plusieurs pays voisins, apparaît comme un candidat naturel. Mais à quel prix et avec quelles contreparties?
Au-delà de la sphère sécuritaire, c’est aussi l’avenir politique du Tchad qui apparaît plus que jamais en suspens. Le pouvoir en place, issu d’une succession dynastique contestée après la mort d’Idriss Déby Itno en 2021, parviendra-t-il à asseoir sa légitimité par les urnes malgré les accusations de dérive dictatoriale? Le boycott des partis d’opposition et les soupçons de fraude qui planent sur le scrutin de décembre laissent présager de fortes turbulences à venir.
Dans ce contexte d’incertitude régionale, une chose est sûre : la décision tchadienne de rompre son accord de défense avec la France constitue un nouveau signe du grand chambardement géopolitique en cours au Sahel. Un chambardement dont nul ne peut encore prédire l’issue, mais qui pourrait bien redistribuer durablement les cartes et les alliances dans cette zone stratégique aux portes de l’Europe et du Moyen-Orient.