Dans un contexte où les dangers des réseaux sociaux pour les mineurs sont de plus en plus reconnus, l’Australie vient de franchir un pas décisif. Le Parlement a voté une loi interdisant l’accès à ces plateformes aux moins de 16 ans, sous peine de lourdes amendes pour les entreprises contrevenantes. Une mesure radicale qui soulève autant d’espoirs que d’interrogations.
Selon le texte adopté, considéré comme l’un des plus stricts au monde sur le sujet, les plateformes auront l’obligation de vérifier l’âge des utilisateurs. En cas de manquement, elles s’exposeront à des sanctions financières pouvant atteindre 1% de leur chiffre d’affaires mondial. Un signal fort envoyé aux géants du numérique pour les responsabiliser face à cet enjeu majeur de santé publique.
Un défi technique et éthique
Mais la mise en œuvre d’une telle mesure soulève de nombreuses questions pratiques et éthiques. Comment vérifier efficacement l’âge des utilisateurs sans porter atteinte à leur vie privée ? Quels moyens techniques fiables et proportionnés mettre en place ? Comment éviter les contournements par les plus jeunes, toujours inventifs ?
D’autres pays, conscients de ces enjeux, tentent aussi de réguler l’accès des mineurs aux réseaux sociaux. Mais ils se heurtent souvent aux mêmes écueils :
- Des difficultés à faire appliquer les restrictions d’âge, malgré les lois en vigueur
- Des réticences des plateformes à mettre en place des contrôles jugés trop contraignants
- Des inquiétudes sur les risques d’atteinte aux libertés et à la vie privée des jeunes
La France confrontée au droit européen
En France par exemple, une loi instaurant une « majorité numérique » à 15 ans a été votée en juin 2023. Mais son entrée en vigueur est suspendue à une validation de la Commission européenne, qui doit juger de sa conformité au droit communautaire. Un obstacle juridique qui illustre la complexité de légiférer sur ces questions dans un cadre supranational.
Ailleurs en Europe, des initiatives à géométrie variable
La Norvège et l’Espagne ont aussi annoncé vouloir restreindre l’accès des moins de 16 ans et 15 ans aux réseaux sociaux. Mais sans avoir encore défini les modalités pratiques pour y parvenir. Partout, les pouvoirs publics semblent tâtonner face à un phénomène évolutif et mondialisé, difficile à encadrer à l’échelle nationale.
L’expérience mitigée de la Corée du Sud
La Corée du Sud avait tenté dès 2011 d’interdire l’accès aux jeux vidéo en ligne aux mineurs pendant la nuit. Mais la « loi Cendrillon » a été abandonnée dix ans plus tard, face à son inefficacité et aux critiques sur ses effets liberticides. Un précédent qui invite à la prudence sur la régulation des usages numériques des jeunes.
Le contrôle strict à la chinoise, un modèle ?
A l’inverse, la Chine montre qu’un contrôle étroit des accès est possible dans un régime autoritaire, où les plateformes sont légalement tenues de vérifier l’identité des utilisateurs. Les mineurs y sont soumis à des limites de temps strictes sur les réseaux sociaux et les jeux vidéo. Une option difficilement transposable dans les démocraties libérales.
Le contrôle parental et l’éducation au numérique sont souvent avancés comme des alternatives ou des compléments nécessaires aux restrictions légales. Mais peuvent-ils suffire face à l’attractivité des réseaux sociaux et à la pression sociale qui pousse les jeunes à s’y inscrire toujours plus tôt ? Le débat est loin d’être tranché, et nécessitera sans doute des approches combinées et concertées à l’échelle internationale.
76% des 10-16 ans sont inscrits sur au moins un réseau social, et
90% d’entre eux s’y connectent quotidiennement, selon une récente étude.
En attendant, l’initiative australienne a le mérite de poser clairement la question de la responsabilité des plateformes dans la protection des mineurs. Et d’ouvrir la voie à une possible régulation, même si le chemin sera long et semé d’embûches. Car au-delà des défis techniques et juridiques, c’est bien un choix de société qui est en jeu : quel équilibre trouver entre la liberté d’accès à l’information et la nécessaire protection des plus vulnérables à l’ère du tout-connecté ?