Alors que le débat sur le budget 2025 bat son plein, le sénat vient de voter plusieurs hausses de taxes qui pourraient bien impacter le portefeuille des Français dès l’année prochaine. Au menu : une TVA à 20% sur l’eau en bouteille, une augmentation de la taxe sur les billets d’avion et la fin des taux réduits pour les chaudières à gaz. Des mesures qui ne font pas l’unanimité, mais qui devraient rapporter plusieurs centaines de millions d’euros à l’État. Décryptage.
L’eau en bouteille bientôt plus chère ?
C’est l’une des surprises de cette séance nocturne au palais du Luxembourg. Alors que le sujet ne figurait pas à l’ordre du jour, les sénateurs ont adopté un amendement visant à faire passer la TVA sur l’eau en bouteille de 5,5% actuellement à 20%. L’objectif affiché est d’inciter les consommateurs à privilégier l’eau du robinet, dans un contexte de tensions sur la ressource en eau.
Seuls les départements d’outre-mer, confrontés à des difficultés d’approvisionnement, seraient exemptés de cette hausse. Selon les estimations de la chambre haute, cette mesure pourrait rapporter entre 150 et 300 millions d’euros par an. Mais le gouvernement s’y est opposé, jugeant que « la TVA n’était pas un outil fiscal incitatif ».
Vers une flambée du prix des bouteilles d’eau ?
Si cet amendement est maintenu dans la version finale du budget, il pourrait entraîner une augmentation sensible du prix des bouteilles d’eau dans les rayons. La hausse de TVA serait en effet vraisemblablement répercutée sur les tarifs à la consommation.
De quoi faire bondir les associations de consommateurs, qui pointent une mesure injuste pénalisant les petits budgets. « Tout le monde n’a pas accès à une eau du robinet de qualité. Dans certaines zones, les gens n’ont pas d’autre choix que d’acheter de l’eau en bouteille », s’insurge un représentant d’une association citée par une source proche du dossier.
La « taxe Nestlé Waters » fait polémique
Au-delà de l’argument écologique, les sénateurs justifient aussi cette hausse par les révélations sur les pratiques de Nestlé Waters. La filiale du géant suisse a reconnu en janvier avoir eu recours à des systèmes de désinfection interdits pour assurer la « sécurité alimentaire » de ses eaux minérales.
Des révélations qui ont conduit le sénat à lancer une commission d’enquête sur le secteur des eaux embouteillées. Ce contexte a sans doute pesé dans le vote des sénateurs, désireux d’envoyer un message aux industriels. Mais certains dénoncent une « stigmatisation » et une « surtaxation injuste » de toute une filière.
Envolée en vue sur les billets d’avion
Autre amendement adopté à une large majorité : le relèvement de la « taxe de solidarité » prélevée sur les billets d’avion. Instaurée en 2005 pour financer des projets d’aide au développement, celle-ci passerait de 2,63€ actuellement à 5,30€ en classe économique vers la France ou l’Europe, contre 9,50€ envisagés initialement par le gouvernement.
En classe affaires ou pour l’aviation privée, les montants seraient aussi relevés, mais nettement moins que prévu. Au total, la mesure devrait rapporter environ 500 millions d’euros en 2025 selon des projections citées en séance, contre le milliard espéré par l’exécutif.
Des exemptions votées, mais « contraires au droit européen »
Pour atténuer l’impact de cette taxe, les sénateurs ont voté plusieurs exemptions : les vols vers l’outre-mer et la Corse en seraient exonérés, de même que les petites lignes régionales dites « d’aménagement du territoire » comme Limoges, Castres ou Brive-la-Gaillarde.
Mais ces exceptions pourraient ne pas tenir. Le ministre chargé du Budget Laurent Saint-Martin a prévenu que de telles « différenciations en fonction des destinations » étaient « contraires au droit européen » et qu’il ne serait « pas possible » de les mettre en oeuvre.
Les compagnies aériennes vent debout
Sans surprise, les compagnies aériennes voient d’un très mauvais œil cette augmentation de la taxe sur les billets d’avion. Selon une source du secteur, cela « pénalisera le transport aérien français » dans un contexte déjà difficile, entre reprise post-covid et flambée des coûts.
Air France a ainsi fait savoir qu’elle s’opposait fermement à cette taxe, jugeant qu’elle « réduirait la connectivité » du pays et nuirait à sa compétitivité, notamment vis-à-vis des aéroports étrangers frontaliers. Une hausse qui se répercutera aussi probablement sur le prix des billets.
Le gaz perd ses avantages fiscaux
Troisième mesure fiscale d’ampleur votée au sénat : l’alignement de la TVA sur les chaudières à gaz sur le taux normal de 20%, contre des taux réduits de 5,5% ou 10% jusqu’à présent. Le gouvernement compte sur un gain de 200 millions d’euros.
Cette suppression des avantages fiscaux pour le gaz s’inscrit dans la stratégie de décarbonation du gouvernement, qui veut inciter les Français à se tourner vers des modes de chauffage plus vertueux comme les pompes à chaleur ou le bois.
La filière gaz s’inquiète pour l’emploi
Mais la perspective de cette hausse de TVA fait bondir les professionnels du gaz. Ceux-ci agitent la menace de suppressions d’emplois massives et d’une « désindustrialisation ».
C’est incompréhensible et incohérent. On parle de 20 000 emplois menacés dans la filière. On ne peut pas du jour au lendemain tourner le dos au gaz, qui reste indispensable dans de nombreux foyers.
– Un représentant du syndicat professionnel du chauffage interrogé par Le Figaro
Le gouvernement assure qu’un « accompagnement » sera mis en place pour la filière et les ménages via des aides ciblées à la conversion des équipements. Mais rien n’a encore été précisé sur les montants et les modalités de ce soutien.
Quel impact sur la facture des ménages ?
Pour les 11 millions de foyers se chauffant au gaz naturel, cette TVA à 20% risque de faire grimper la facture. Un surcoût de plusieurs dizaines à centaines d’euros par an est à prévoir sur l’achat ou le remplacement des équipements.
Un coup dur pour des ménages déjà fragilisés par l’inflation et la crise énergétique, et un choix politique qui ne fait pas l’unanimité. Le gouvernement mise sur le « signal prix » pour accélérer la décarbonation, au risque de créer des tensions sociales.
Bras de fer en vue avec l’Assemblée
Ces votes du sénat ne signent pas pour autant l’adoption définitive de ces hausses de taxes. Les amendements doivent encore être confirmés en commission mixte paritaire avec l’Assemblée nationale, où les débats promettent d’être animés.
En parallèle de ces hausses, les sénateurs ont rejeté mardi la hausse de la fiscalité de l’électricité voulue par le gouvernement, qui doit permettre à l’Etat de récolter 1,2 milliard supplémentaire d’euros en 2025. Avec les autres impositions votées, des ressources alternatives ont été dégagées, mais l’équation budgétaire reste compliquée pour l’exécutif.
De quoi annoncer de vives discussions dans l’hémicycle du Palais Bourbon, où les oppositions pourraient tenter de supprimer ces taxes ou d’en atténuer la portée. En attendant, les filières concernées retiennent leur souffle et fourbissent leurs arguments.