Une vague de censure numérique d’une ampleur inédite s’abat actuellement sur le Pakistan. Réseaux sociaux bloqués, connexions internet coupées, interdiction des VPN pour les particuliers… Les autorités multiplient les mesures drastiques pour contrôler les échanges en ligne et étouffer les voix dissidentes. Une situation alarmante qui soulève de vives inquiétudes chez les défenseurs des libertés numériques.
Des restrictions massives à chaque mouvement de contestation
Dès qu’un mouvement d’opposition se profile, le gouvernement pakistanais applique une procédure bien rodée : des containers bloquent les routes de la capitale Islamabad tandis qu’internet et le téléphone sont coupés localement pour empêcher les manifestants de se regrouper et de relayer leurs messages. Mais depuis le début des rassemblements en soutien à l’ex-Premier ministre emprisonné Imran Khan ce dimanche, les autorités sont allées encore plus loin.
Selon une source proche du dossier, même les connexions wifi des particuliers ont été suspendues dans les quartiers considérés comme « à risque », car lors de précédentes manifestations, des habitants avaient partagé leur réseau avec les protestataires. Mohammed Fahim Khan, enseignant à Islamabad, se retrouve ainsi doublement confiné. Les écoles étant fermées jusqu’à jeudi, il ne peut ni assurer ses cours à distance, ni même s’informer sur le déroulement des événements. Une situation d’isolement total qu’il dénonce.
Ces blocages nous empêchent de communiquer avec nos proches et le reste du monde, on se sent vraiment coupés de tout.
– Mohammed Fahim Khan, professeur à Islamabad
Le wifi résidentiel dans le viseur
Pour Khadija Rizvi, étudiante et blogueuse de 25 ans, cette coupure du wifi résidentiel constitue un précédent inquiétant. Privée d’accès à ses réseaux sociaux, elle déplore un énorme manque à gagner en termes de temps et d’opportunités, dans un pays déjà englué dans une crise politique et économique majeure. D’après Usama Khilji de l’ONG Bolo Bhi, la censure et la surveillance atteignent en ce moment des niveaux sans précédent au Pakistan.
Amnesty International a vivement critiqué ces restrictions sévères qui violent les droits à manifester et la liberté d’expression. Mais le gouvernement ne compte pas s’arrêter là. Depuis août dernier, il teste un pare-feu pour mieux surveiller les activités en ligne des 240 millions de Pakistanais, notamment via le blocage ciblé de certaines fonctionnalités sur les applications.
L’utilisation des VPN déclarée contraire à l’islam
Jusqu’à présent, citoyens comme ministres contournaient les blocages en se géolocalisant hors du pays via un VPN. Mais mi-novembre, un organe gouvernemental a jeté un pavé dans la mare en décrétant les VPN « pas halal », donc contraires à l’islam, car ils permettent l’accès à des contenus pornographiques ou jugés blasphématoires. Malgré le tollé suscité, les autorités ont annoncé qu’au 1er décembre, seuls les VPN approuvés et enregistrés seront autorisés, excluant de fait les particuliers.
En plus d’être potentiellement surveillé par l’État, vous ne savez pas comment vos données sensibles sont stockées.
– Usama Khilji, responsable de l’ONG Bolo Bhi
Un impact désastreux sur l’économie numérique
Au-delà des atteintes aux libertés, cette censure fait craindre un exode massif des entreprises du numérique, alors que le Pakistan peine déjà à rivaliser avec l’Inde voisine dans ce secteur. Sans parler des 2,4 millions de travailleurs indépendants qui perdent des journées de salaire entières à chaque coupure. Michael Kugelman, chercheur au Wilson Center, résume ainsi la situation :
Le Pakistan s’efforce de développer son économie numérique tout en prenant des mesures draconiennes de surveillance en ligne. Il se tire une balle dans le pied.
– Michael Kugelman, chercheur au Wilson Center
Face à cette dérive sécuritaire inédite, la société civile pakistanaise sonne l’alarme. Mais dans un contexte de crise politique et économique aiguë, ses appels semblent pour l’instant rester lettre morte. Le Pakistan s’enfonce dans l’isolement numérique, au détriment des droits fondamentaux de ses citoyens et de son développement.