C’est une décision de justice qui ne passe pas en Corse. La cour administrative d’appel de Marseille vient de confirmer l’interdiction d’utiliser la langue corse dans les débats à l’assemblée de Corse, estimant que cela était contraire à la Constitution. Un jugement qui suscite l’incompréhension et la colère des élus autonomistes, bien décidés à se battre pour défendre leur langue et leur identité.
La justice s’oppose à l’usage du corse dans l’hémicycle
C’est un revers cinglant pour les partisans de la langue corse. Le 19 novembre dernier, la cour administrative d’appel de Marseille a rejeté l’appel de la Collectivité de Corse contre un jugement du tribunal administratif de Bastia. Celui-ci avait annulé en mars des délibérations de l’assemblée de Corse et du conseil exécutif validant l’utilisation du corse dans les débats.
Pour motiver sa décision, la cour s’appuie sur l’article 2 de la Constitution qui stipule que « la langue de la République est le français ». Selon elle, cela implique que le français s’impose aux personnes morales de droit public et aux personnes de droit privé dans l’exercice d’une mission de service public. Les règlements intérieurs de l’assemblée et du conseil exécutif qui prévoyaient le droit de s’exprimer en corse sont donc jugés illégaux.
Il résulte des dispositions de l’article 2 de la Constitution du 4 octobre 1958 en vertu desquelles « La langue de la République est le français » que l’usage du français s’impose aux personnes morales de droit public et aux personnes de droit privé dans l’exercice d’une mission de service public.
Extrait de l’arrêt de la cour administrative d’appel de Marseille
Des élus autonomistes remontés
Cette décision ne passe pas du tout auprès des élus corses, en particulier ceux issus des rangs autonomistes et nationalistes. Le président du conseil exécutif Gilles Simeoni et la présidente de l’assemblée Marie-Antoinette Maupertuis dénoncent un arrêt « contraire aux textes européens et internationaux protégeant les droits fondamentaux au plan linguistique ». Ils annoncent leur intention de former un pourvoi devant le Conseil d’État et d’aller contester cet « argumentaire devant les juridictions européennes et internationales ».
Au-delà de l’aspect juridique, c’est un véritable camouflet politique pour les élus corses. Gilles Simeoni y voit la « nécessité d’obtenir au plus vite une révision constitutionnelle conférant un statut d’officialité à la langue corse ». Jean-Christophe Angelini, leader du parti autonomiste « Femu a Corsica », fustige quant à lui « une attaque directe contre notre identité culturelle et notre droit à l’expression démocratique ».
Au plan politique, cet arrêt nous conforte dans la nécessité d’obtenir au plus vite une révision constitutionnelle conférant un statut d’officialité à la langue corse. Il faut changer la Constitution.
Gilles Simeoni, président du conseil exécutif de Corse
Un sujet sensible et récurrent
La question de la place de la langue corse dans les institutions n’est pas nouvelle. Depuis plusieurs années, le débat fait rage entre les élus locaux qui souhaitent une reconnaissance officielle et une utilisation plus large du corse, et l’État qui s’y oppose au nom du principe d’unicité linguistique inscrit dans la Constitution.
En 2013, l’assemblée de Corse avait déjà adopté une motion demandant un statut de coofficialité pour la langue corse, sur le modèle de ce qui existe en Espagne pour le catalan ou le basque. Une revendication balayée par le gouvernement de l’époque. En 2018, les élus avaient franchi un nouveau cap en modifiant le règlement intérieur de l’assemblée pour y introduire la possibilité de s’exprimer en corse. C’est cette disposition qui vient donc d’être retoquée par la justice administrative.
Au-delà de la Corse, c’est toute la question des langues régionales et de leur reconnaissance qui se pose. Si la loi Molac de 2021 a permis quelques avancées en matière d’enseignement, leur usage reste très encadré et limité dans la sphère publique et institutionnelle. Un statu quo de plus en plus difficile à tenir face à la montée des revendications identitaires et culturelles dans plusieurs régions.
Et maintenant ?
Pour les élus corses, la bataille est loin d’être terminée. Après le pourvoi devant le Conseil d’État qu’ils s’apprêtent à déposer, ils entendent bien porter le dossier devant les instances européennes. Objectif : faire reconnaître ce qu’ils estiment être une atteinte aux droits linguistiques fondamentaux et obtenir une condamnation de la France.
Parallèlement, ils vont intensifier la pression politique pour tenter d’obtenir la fameuse révision constitutionnelle à laquelle ils aspirent. Un combat dans lequel ils peuvent compter sur le soutien de plusieurs formations politiques, notamment à gauche et chez les écologistes. Mais la route s’annonce longue et semée d’embûches tant le sujet divise, y compris au plus haut sommet de l’État.
Une chose est sûre : cette décision de justice est loin d’avoir éteint la controverse. Elle pourrait même servir de détonateur à une nouvelle escalade des tensions entre la Corse et le pouvoir central. À quelques mois des élections territoriales prévues en 2024, le dossier linguistique s’impose plus que jamais comme un enjeu politique majeur sur l’île de Beauté.