La récente annonce de la publication d’un livre sur l’autonomie de la Casamance, région du sud du Sénégal en proie à un vieux conflit indépendantiste, suscite une vive polémique dans le pays. Lors d’un meeting de campagne pour les législatives, le Premier ministre sénégalais Ousmane Sonko a déclaré que l’ouvrage de l’historienne française Séverine Awenengo Dalberto “ne sera pas commercialisé au Sénégal”, dénonçant une “instrumentalisation politique” sur un sujet sensible.
Un livre qui ravive les tensions autour de la Casamance
Le livre en question, intitulé “L’idée de la Casamance autonome – Possibles et dettes morales de la situation coloniale au Sénégal”, a provoqué de vifs débats dès l’annonce de sa publication par les éditions Karthala. L’évocation de ce conflit, qui continue de marquer les esprits, reste un sujet très sensible au Sénégal où l’Etat rejette toute idée d’autonomie pour la Casamance.
Face aux protestations, les éditions Karthala ont regretté “une instrumentalisation politique d’un ouvrage scientifique par des personnes qui n’ont, manifestement, pas pris connaissance de son contenu”. L’autrice elle-même a tenu à préciser que son travail était “strictement historique” et “ne vise aucunement à rouvrir les fractures comme certains pourraient le craindre”.
Sonko dénonce un “projet de déstabilisation” et s’en prend à la France
Mais ces arguments n’ont pas convaincu Ousmane Sonko. Lors d’un meeting à Ziguinchor, capitale de la Casamance, le leader de l’opposition et tête de liste de son parti Pastef aux législatives du 17 novembre, s’en est pris violemment au livre, à son autrice et à la France:
“Si cette Française veut écrire, elle n’a qu’à aller écrire sur la Corse qui demande son indépendance à la France. Elle n’a qu’à écrire sur la Nouvelle-Calédonie qui réclame son indépendance, mais elle n’a pas à écrire sur le Sénégal”
Ousmane Sonko, Premier ministre sénégalais
Selon lui, ce livre “ne sera pas autorisé au Sénégal, ne sera pas commercialisé au Sénégal”, mettant en garde contre “un projet de déstabilisation” sur un sujet “qui concerne les Sénégalais”.
Entre exigence de vérité historique et stabilité nationale: un sujet ultrasensible
L’Alliance pour la République, parti au pouvoir jusqu’à la présidentielle de mars, avait aussi protesté contre la publication de cet ouvrage dans un communiqué, estimant qu’il “remet en question les acquis” sur la paix en Casamance et est “dangereux” pour l’unité nationale.
La polémique illustre la difficulté à aborder sereinement ce conflit vieux de 40 ans, qui a fait des milliers de victimes. Si des accords de paix ont été signés en 2014, la situation reste instable et des accrochages sporadiques ont toujours lieu entre l’armée et des factions rebelles.
Entre la nécessité d’un examen historique rigoureux et la crainte de voir ressurgir de vieilles blessures, le sujet de l’autonomie de la Casamance demeure ultrasensible au Sénégal. L’interdiction annoncée de ce livre, au nom de la stabilité et de l’unité nationale, soulève des questions sur les limites de la liberté académique face aux impératifs politiques.
Sonko, figure montante de l’opposition, multiplie les attaques contre la France
Cette prise de position radicale d’Ousmane Sonko s’inscrit dans une rhétorique souverainiste et panafricaniste qu’il a développée ces dernières années, n’hésitant pas à s’en prendre à l’Occident, l’Europe et plus particulièrement à la France:
“Si la France veut nous donner des archives, elle n’a qu’à nous donner les archives de ses exécutions sommaires au Sénégal pendant la colonisation, des guerres qu’elle a menées ici, des tortures qu’elle a menées, des travaux forcés, c’est ça qu’on attend de la France”
Ousmane Sonko
En se positionnant comme un fervent défenseur de la souveraineté sénégalaise face aux ingérences étrangères, réelles ou supposées, Ousmane Sonko cherche à capitaliser sur un sentiment anti-français qui reste prégnant dans certaines franges de la population.
Alors que le Sénégal traverse une période politique agitée, entre l’après Macky Sall et les législatives à venir, l’affaire de ce livre interdit vient s’ajouter aux nombreux sujets de crispation qui animent le débat public. Elle illustre aussi la montée en puissance d’Ousmane Sonko, devenu en quelques années l’une des principales figures de l’opposition, prêt à surfer sur les polémiques pour s’imposer dans le jeu politique national.