Figure majeure de la nouvelle vague littéraire québécoise, Kev Lambert se livre avec sensibilité et profondeur dans un entretien au long cours. Depuis sa révélation fracassante avec “Que notre joie demeure”, l’auteur natif de Montréal, 31 ans, impose son univers singulier, entre réalisme cru et onirisme poétique. Son dernier roman “Les Sentiers de Neige”, paru aux éditions Le Nouvel Attila, confirme tout son talent.
De l’enfance à l’écriture
Explorant les tourments intérieurs d’un garçonnet nommé Zooey, Kev Lambert puise dans sa propre enfance pour nourrir son récit. « C’est un enfant qui vit son premier Noël après la séparation de ses parents et qui se pose beaucoup de questions par rapport à ça. Il se sent coupable », confie l’écrivain dans le podcast “Les Gens Qui Lisent Sont Plus Heureux”. Zooey ressent un « défaut » que lui renvoie le regard des autres, qui le perçoivent comme « efféminé, trop sensible ». Une différence que Kev Lambert transcrit par un jeu subtil sur les pronoms, au fil de la quête identitaire de son personnage.
La littérature sert à ça, il faut que ça déroute un peu, c’est bien.
Kev Lambert
S’affranchir des « identités qu’on fait peser sur nous »
Cette thématique du genre résonne avec le propre cheminement de l’auteur, qui a adopté le prénom “Kev” pour sa transition. « Je n’aime pas trop les mots garçon, homme ou masculin. Mais les mots fille, femme ou féminin non plus », souligne-t-il. « C’est une transition vers nulle part, ou un entre-deux. Une manière de m’approcher des différentes identités que j’ai en moi. » Pour Kev Lambert, « ce qui fait peur, ce sont les murailles, les frontières, les jugements sociaux. Les identités qu’on fait peser sur nous et qu’on ne choisit pas. »
La littérature, « une source de soulagement et de consolation »
Face à ces tourments et questionnements, l’écriture est très tôt apparue comme un refuge. « La littérature, c’est pour moi une grande source de soulagement ou de consolation », affirme Kev Lambert. À sept ans, la lecture du premier tome d’Harry Potter a été une révélation. « Quand je lisais qu’un enfant portait la marque d’un agresseur, de la personne qui lui a fait du mal, et que dans les tomes suivants il y a la voix du méchant en lui, je me reconnaissais. » Une résonance intime avec ce sentiment d’être habité par « des voix de reproches », qui disaient à l’enfant qu’il était « anormal ».
Sans le comprendre, je pense que j’allais chercher dans la littérature une sorte de résonance des cicatrices.
Kev Lambert
La fiction pour « exprimer les émotions et pulsions les plus inconscientes »
Car les livres n’apaisent pas toujours en « nous faisant du bien », note l’écrivain, mais « même parfois en nous faisant du mal ». La littérature nous permet « d’exprimer les émotions et pulsions les plus inconscientes et les plus horribles. D’agressivité ou de meurtre, même ! » Une fonction sociale essentielle, pour « sublimer » et « vivre » ces pulsions par procuration. Un exutoire salvateur, qui a sans doute permis à Kev Lambert de grandir, s’épanouir et créer, pour mieux panser ses blessures intimes.
Au fil de cet entretien à cœur ouvert, Kev Lambert éclaire son rapport charnel et existentiel à l’écriture. Un cheminement courageux et inspirant, qui fait de lui l’une des voix les plus singulières de sa génération.