Peut-être avez-vous déjà entendu parler de Lyes Louffok ces derniers temps. Ce jeune homme de 29 ans est devenu en quelques années l’un des visages les plus médiatiques de la lutte pour les droits des enfants placés. Lui-même ancien enfant de l’Aide Sociale à l’Enfance (ASE), où il a passé dix-huit ans de sa vie, Lyes Louffok mène aujourd’hui un combat acharné pour réformer ce système qu’il juge à bout de souffle.
Un militant qui dérange
Lyes Louffok n’a pas sa langue dans sa poche et il le fait savoir. Récemment, lors d’un colloque sur la protection de l’enfance en présence de Charlotte Caubel, secrétaire d’État chargée de l’Enfance, il n’a pas hésité à l’interpeller vivement depuis le public. « C’est une honte le pacte autonomie Madame la ministre ! Une honte ! Les travailleurs sociaux n’en peuvent plus ! Quand allez-vous faire votre travail ? », a-t-il lancé, provoquant la stupeur dans la salle.
Ce genre de coup d’éclat est devenu la marque de fabrique de ce militant qui n’hésite pas à bousculer le politiquement correct pour faire entendre ses revendications. Une attitude qui irrite certains, à l’instar de la ministre qui a refusé de lui répondre ce jour-là, le qualifiant d’« excessif ». Mais pour Lyes Louffok, la fin justifie les moyens. « Les enfants placés sont les oubliés de la République. Je me bats pour qu’on arrête de les invisibiliser », assène-t-il.
18 ans à l’ASE
L’engagement de Lyes Louffok est indissociable de son histoire personnelle. Né dans une famille touchée par la grande précarité et la maladie mentale, il est placé dès l’âge de trois mois. S’ensuivront dix-huit années de ballottage entre foyers et familles d’accueil, une scolarité chaotique et des relations conflictuelles avec les services sociaux. Une enfance « volée », résume-t-il dans un livre choc publié en 2014, Dans l’enfer des foyers.
C’est à sa sortie de l’ASE, alors qu’il se retrouve à la rue, que Lyes Louffok découvre les limites d’un système censé protéger les plus vulnérables. « Quand j’ai eu 18 ans, l’ASE m’a lâché du jour au lendemain. Je n’avais aucun bagage, aucun accompagnement pour m’insérer. J’ai vécu l’horreur », confie-t-il. Cette expérience le pousse à s’engager pour que les choses changent.
Le porte-voix des oubliés
Depuis une décennie, Lyes Louffok arpente les ministères pour plaider la cause des enfants placés. Membre du Conseil National de la Protection de l’Enfance, il a participé à l’élaboration de plusieurs lois. Mais il juge les avancées insuffisantes et dénonce l’inertie des pouvoirs publics face à l’ampleur des besoins. « L’ASE est un service public en crise, qui manque cruellement de moyens. Les éducateurs sont débordés, il y a des enfants qui dorment à l’hôtel faute de places en foyer. C’est indigne d’un pays comme la France », fustige-t-il.
Prônant une « révolution de la protection de l’enfance », il milite pour un grand plan d’urgence, avec des moyens conséquents pour recruter des professionnels, diversifier les modes d’accueil et renforcer l’accompagnement des jeunes majeurs. Des revendications portées aussi par de nombreuses associations, qui voient en Lyes Louffok un allié précieux pour mettre ces sujets sur le devant de la scène.
Un homme clivant
Mais le franc-parler du militant et sa proximité revendiquée avec La France Insoumise lui valent aussi des inimitiés. D’après des sources proches des cabinets ministériels, beaucoup le jugent trop « politique » et lui reprochent de servir avant tout les intérêts de son camp. « Dès qu’on n’est pas d’accord avec lui, il crie au scandale et nous accuse de maltraitance institutionnelle. C’est contreproductif », glisse un conseiller sous couvert d’anonymat.
Lyes Louffok, lui, assume sa généalogie militante à gauche et ne voit pas en quoi elle discréditerait son combat. « Je suis un citoyen engagé, j’ai le droit d’avoir des convictions politiques. Ça ne m’empêche pas d’être constructif quand il le faut », rétorque-t-il. Quitte à déranger, il entend bien continuer à faire du « bruit » pour ces milliers d’enfants de l’ombre. Comme il le résume dans une formule choc : « Les ministres passent, les enfants placés restent ».