Derrière ses filtres amusants et ses challenges viraux, TikTok est devenu bien plus qu’une simple application pour ados en mal de divertissement. Le réseau social chinois cristallise aujourd’hui les tensions géopolitiques et met en lumière les défis que posent les plateformes numériques étrangères pour nos démocraties. Retour sur la saga d’une app qui ne fait pas qu’amuser la galerie.
TikTok, l’app venue de Chine qui a conquis le monde
Lancé en 2016 par ByteDance, TikTok s’est rapidement imposé comme le réseau social incontournable des ados du monde entier. Avec ses vidéos courtes, ses filtres loufoques et son algorithme ultra-performant, l’app chinoise a su capter l’attention des digital natives en quête de fun et de reconnaissance.
Mais ce succès fulgurant a vite éveillé les soupçons des autorités occidentales. Car derrière cette success story se cache une entreprise chinoise, soumise aux lois d’un régime qui n’hésite pas à mettre la main sur les données de ses citoyens. Et si TikTok n’était qu’un cheval de Troie du Parti Communiste pour espionner la jeunesse du monde libre ?
De l’addiction des ados aux soupçons d’espionnage
Très vite, TikTok a été pointé du doigt pour ses effets délétères sur la santé mentale des ados. Avec son fil infini de vidéos calibrées pour générer un max d’engagement, l’app a été accusée de rendre les jeunes accros aux écrans et de brouiller leur rapport à la réalité.
Les réseaux sociaux peuvent détruire la capacité de concentration de toute une génération.
– Chamath Palihapitiya, ex-cadre de Facebook
Mais l’enjeu est aussi sécuritaire. Pour les services de renseignement américains, les liens de ByteDance avec Pékin font peser un risque d’espionnage massif via l’app. D’autant que son algo reposerait sur un profilage en profondeur des utilisateurs, dont les données sont stockées en Chine.
Vers un bannissement de TikTok en Occident ?
Face à ces menaces, la riposte s’organise. Après l’Inde en 2020, les États-Unis envisagent de bannir purement et simplement TikTok du territoire, à moins que ByteDance ne cède ses actifs américains. En Europe aussi, les restrictions pleuvent : l’app est désormais interdite des appareils professionnels des fonctionnaires européens.
- Juin 2020 : L’Inde bannit TikTok et 58 autres apps chinoises
- Décembre 2022 : Le Congrès américain vote l’interdiction de TikTok sur les appareils gouvernementaux
- Février 2023 : La Commission européenne et le Parlement bannissent TikTok des appareils professionnels
Mais les démocraties libérales sont face à un dilemme : comment protéger leurs citoyens des griffes de la tech chinoise sans pour autant tomber dans la censure ou le protectionnisme ? Comment réguler des plateformes étrangères qui, à coups d’algorithmes opaques et de modération hasardeuse, ont un impact direct sur nos processus démocratiques, comme l’a montré l’affaire Cambridge Analytica avec Facebook ?
Vers une souveraineté numérique européenne ?
Face à la montée en puissance des GAFAM américains et des BATX chinois, l’Europe tente de reprendre la main en imposant un modèle de régulation exigeant et protecteur des données personnelles. Avec son Digital Services Act et son Digital Markets Act, Bruxelles espère forcer les plateformes à plus de transparence et encadrer les pratiques abusives.
L’Europe se doit d’être un continent numérique souverain, qui maîtrise ses données, ses infrastructures et ses normes.
– Thierry Breton, Commissaire européen au marché intérieur
Reste que pour exister face aux géants du Net, l’UE doit aussi favoriser l’émergence de champions européens, capables d’offrir des services attractifs et respectueux de nos valeurs. Un défi de taille alors que l’écosystème tech du vieux continent peine à rivaliser avec la Silicon Valley et la Chine.
Le feuilleton TikTok n’est qu’un des multiples symptômes d’un monde numérique en pleine recomposition géopolitique, où la maîtrise des données et des infrastructures est devenue un enjeu de souveraineté majeur. Dans cette nouvelle guerre froide technologique qui s’annonce, les démocraties sauront-elles trouver la voie de la protection sans la tentation de la fermeture ?