Imaginez une jeune femme de 34 ans, ancienne joueuse de basket, qui porte sur ses épaules l’espoir de millions de filles privées d’école et de sport dans son pays natal. Exilée, mais jamais résignée, elle choisit de tendre la main là où beaucoup préféreraient couper les ponts. Cette femme existe : elle s’appelle Samira Asghari et elle est la seule Afghane membre du Comité international olympique.
Une Voix Unique au Sein du CIO
Élue en 2018, Samira Asghari représente une rare percée pour les femmes afghanes dans les instances internationales du sport. Fille d’un ancien responsable du comité national olympique afghan, elle a grandi entre l’exil en Iran et les retours difficiles dans un pays en perpétuel bouleversement.
Aujourd’hui, depuis son exil, elle observe avec douleur la réalité imposée aux femmes et aux filles sous le régime taliban revenu au pouvoir en 2021. Les écoles se ferment pour les adolescentes dès 12 ans. Le sport féminin est interdit. Les emplois publics inaccessibles. Pourtant, elle refuse le silence.
Dans un échange récent, elle explique clairement sa position : le dialogue avec les autorités actuelles n’équivaut pas à une légitimation de leur pouvoir. Il s’agit plutôt d’ouvrir des brèches, même minuscules, pour les générations futures.
Le Choix Difficile du Dialogue
Parler avec ceux qui imposent ces restrictions n’a rien d’évident. Samira Asghari le reconnaît elle-même : ces conversations sont complexes et exposent celles qui s’y engagent à devenir des cibles.
Mais pour elle, l’inaction serait pire. Tant que les talibans contrôlent le terrain, ignorer la réalité condamnerait définitivement les filles restantes en Afghanistan. Elle a donc choisi de faciliter des discussions entre le CIO et les autorités, en insistant particulièrement sur le droit au sport pour les femmes et les écolières.
« Les conversations ne sont pas toujours faciles. La réalité, c’est que lorsqu’on prend publiquement position pour les droits des femmes, on devient une cible. Mais je crois fermement au dialogue et à l’engagement. »
Cette approche pragmatique divise parfois. Certains y voient une forme de compromission. Elle, au contraire, y décèle la seule possibilité d’avancer concrètement.
Composer avec une Réalité Impitoyable
Depuis 2021, le CIO n’a pas rompu tout contact avec Kaboul. Cette continuité a permis d’obtenir que l’Afghanistan soit représenté aux Jeux olympiques de Paris par des athlètes exilés, avec une parfaite parité hommes-femmes dans la délégation.
Mais Samira Asghari ne s’arrête pas à ces symboles forts. Elle pense aussi à celles qui n’ont pas pu fuir. Dans les écoles primaires, les filles peuvent encore étudier jusqu’en sixième. C’est peu, mais c’est une fenêtre qu’il faut exploiter.
Elle propose de saisir ces opportunités minimales, comme développer le sport dans ces établissements. Non pas pour accepter les restrictions, mais pour ne pas abandonner complètement celles qui restent.
« Il ne s’agit pas d’accepter les restrictions des talibans, mais de ne pas abandonner les filles et les femmes d’Afghanistan. Nous devons composer avec la réalité, tout en continuant à œuvrer pour un changement fondamental. »
Cette nuance est essentielle. Le pragmatisme n’exclut pas l’exigence d’un changement profond et durable.
Le Spectre d’une Génération Sacrifiée
Samira Asghari parle avec émotion de son expérience personnelle. Enfant, elle a connu l’exil puis le retour après la première période talibane, entre 1996 et 2001. À son arrivée en sixième, une jeune femme de 20 ans partageait son banc d’école.
Cette camarade avait perdu des années entières d’éducation sous le régime précédent. La scène a marqué durablement l’ancienne basketteuse. Aujourd’hui, elle redoute que l’histoire ne se répète à plus grande échelle.
Les conséquences à long terme l’inquiètent profondément. Une génération entière risque de grandir sans instruction ni perspectives. L’avenir du pays en dépend directement.
« Ce qui me préoccupe profondément, c’est que nous sommes en train de créer une nouvelle génération sacrifiée. Je ne peux pas accepter que cela se reproduise. »
Elle insiste : même des opportunités limitées doivent être saisies. Il en va de la survie des rêves de ces jeunes filles.
« L’avenir de l’Afghanistan repose sur la jeune génération. Nous devons leur offrir toutes les opportunités possibles, aussi minimes soient-elles, et ne jamais, au grand jamais, les abandonner. »
Au-Delà des Frontières : Les Athlètes Exilées
Parallèlement, des initiatives voient le jour hors d’Afghanistan. Des équipes féminines composées de joueuses exilées se constituent en Europe ou en Australie. Récemment, une sélection de football a participé à un tournoi international au Maroc.
Ces projets représentent un espoir concret pour celles qui ont fui. Ils montrent que le sport afghan féminin continue d’exister, même loin de Kaboul.
Samira Asghari s’implique depuis plus d’un an dans ces démarches. Elle espère que d’autres instances, comme la Fifa, suivront l’exemple du CIO en maintenant un dialogue constructif.
Ces soutiens internationaux envoient un message clair : les talents afghans ne seront pas oubliés.
Une Pression Internationale Nécessaire
Pour Samira Asghari, la reconnaissance internationale des talibans dépend directement du respect des droits humains fondamentaux. L’éducation et le sport des femmes font partie de ces droits inaliénables.
Elle dénonce sans ambages la situation actuelle : le pays a été laissé aux talibans, qui tentent maintenant de s’y maintenir en bafouant ces principes élémentaires.
Maintenir cette pression reste crucial. À long terme, isoler complètement le régime pourrait se retourner contre les populations les plus vulnérables, notamment les femmes et les filles.
Le défi consiste à trouver l’équilibre entre fermeté principielle et engagement pragmatique. Samira Asghari incarne cette recherche difficile au quotidien.
Un Combat qui Nous Concernent Tous
L’histoire de Samira Asghari dépasse largement les frontières afghanes. Elle interroge notre capacité collective à défendre les droits humains dans les contextes les plus complexes.
Refuser le dialogue par principe risque d’abandonner celles qui n’ont pas le choix de partir. Mais dialoguer sans concessions claires pourrait affaiblir la lutte pour l’égalité.
Son approche nuancée mérite attention. Elle rappelle que les solutions simplistes échouent souvent face à des réalités aussi brutales.
En continuant à porter cette voix unique au CIO, Samira Asghari contribue à maintenir l’Afghanistan dans le concert des nations sportives. Chaque petite avancée, chaque équipe exilée, chaque discussion ouverte représente une victoire pour les femmes afghanes.
Son message final reste clair : tant qu’il restera une possibilité, même infime, d’améliorer le sort des filles en Afghanistan, il faudra la saisir. Sans jamais renoncer aux exigences fondamentales d’égalité et de dignité.
Dans un monde où les causes semblent parfois perdues d’avance, son engagement rappelle qu’il est possible de résister autrement. Par la parole, par l’action mesurée, par la présence continue là où d’autres choisiraient l’absence.
Les jeunes Afghanes, celles qui rêvent encore de courir, de sauter, d’étudier au-delà de 12 ans, ont en elle une alliée déterminée. Et tant que cette voix résonnera dans les couloirs olympiques, leur espoir restera vivant.









