Imaginez : un pont vétuste menace de s’effondrer, une ligne ferroviaire saturée paralyse toute une région, et pourtant le chantier reste bloqué pendant des années à cause d’un recours déposé au dernier moment par une association qui n’avait jamais participé à la procédure. C’est exactement le genre de situation que le nouveau gouvernement allemand ne veut plus voir.
Une réforme choc pour débloquer les infrastructures
Jeudi dernier, la coalition dirigée par le chancelier Friedrich Merz a franchi un cap décisif. Elle a décidé de restreindre fortement les possibilités d’action en justice des associations environnementales contre les grands projets d’infrastructures. Objectif affiché : accélérer la construction de routes, de voies ferrées et de ponts dont l’Allemagne a, selon elle, un besoin urgent.
Concrètement, plusieurs verrous vont sauter.
Les trois grandes mesures qui changent tout
Le document adopté par la coalition CDU/CSU-SPD est clair : dorénavant, les règles seront « plus claires » pour les litiges. Voici les points clés qui ont fait bondir les écologistes :
- Suppression de l’effet suspensif automatique des recours
- Seules les associations ayant participé à la procédure administrative préalable pourront attaquer en justice
- Règlement plus rapide des contentieux devant les tribunaux administratifs
Markus Söder, président de la CSU et ministre-président de Bavière, n’y est pas allé par quatre chemins : « Il faut empêcher que des ONG n’ayant jamais participé à la procédure puissent bloquer les projets après coup, encore et encore. »
« Il faut empêcher que des ONG n’ayant jamais participé à la procédure puissent bloquer les projets après coup, encore et encore. »
Markus Söder, chef de la CSU
Un calendrier serré
Le projet de loi doit être adopté avant la fin février. Dès la semaine prochaine, un second texte classera l’ensemble des projets visant à résorber les goulets d’étranglement routiers, ferroviaires et fluviaux comme relevant d’un « intérêt public majeur ».
Cerise sur le gâteau : l’électrification des lignes ferroviaires de moins de 60 kilomètres sera totalement exemptée d’étude d’impact environnemental. Un cadeau empoisonné pour les défenseurs de la nature.
Pourquoi maintenant ? Le contexte économique et climatique
L’Allemagne traîne un retard colossal en matière d’infrastructures. Ponts en piteux état, autoroutes saturées, réseau ferroviaire à bout de souffle : le constat est partagé par tous les experts.
En mars dernier, le Bundestag a voté un fonds exceptionnel de 500 milliards d’euros sur douze ans pour moderniser le pays tout en avançant vers la neutralité climatique. Problème : l’argent est là, mais les grues restent immobiles à cause des recours à répétition.
Le gouvernement Merz veut donc faire d’une pierre deux coups : relancer l’économie et tenir les objectifs climatiques. Car oui, une partie des projets concerne l’électrification du réseau ferré, censé remplacer peu à peu la route.
La colère immédiate des associations environnementales
La réaction ne s’est pas fait pas attendre. Jürgen Resch, directeur de Deutsche Umwelthilfe (DUH), l’une des ONG les plus actives, a dénoncé une réforme « clairement contraire » à un arrêt de la Cour de justice de l’Union européenne datant de 2015.
« L’Allemagne avait déjà dû supprimer ces règles après la condamnation européenne. Les réintroduire serait une violation délibérée du droit européen. »
Jürgen Resch, directeur de Deutsche Umwelthilfe
Selon lui, priver d’accès à la justice les associations qui n’ont pas participé à la phase administrative préalable revient à bafouer la convention d’Aarhus et le droit européen sur l’accès à la justice en matière d’environnement.
Un précédent européen embarrassant
En 2015, la CJUE avait effectivement jugé illégale une disposition allemande similaire. À l’époque, Berlin avait dû modifier sa législation pour ouvrir plus largement les recours, y compris aux associations n’ayant pas formulé d’objections dès la phase administrative.
Neuf ans plus tard, le gouvernement conservateur-social-démocrate semble prêt à reprendre exactement le même chemin, au risque d’une nouvelle condamnation et d’une amende salée.
Les arguments des deux camps passés au crible
Pour mieux comprendre les enjeux, voici un tableau récapitulatif des positions :
| Gouvernement Merz | Associations environnementales |
| Retard infrastructurel dramatique | Violation du droit européen (arrêt 2015) |
| Besoins économiques urgents | Atteinte au principe de participation du public |
| 500 milliards déjà votés dorment | Risque de projets imposés sans contrôle réel |
| Objectifs climatiques à tenir (électrification fer) | Neutralité climatique ne justifie pas la brutalité juridique |
Et maintenant ?
Plusieurs scénarios sont possibles dans les prochains mois :
- Adoption rapide du texte avant février et mise en œuvre immédiate
- Recours devant le Tribunal constitutionnel de Karlsruhe par les Verts ou le FDP
- Saisie de la Commission européenne et nouvelle procédure d’infraction
- Négociation d’un compromis maintenant l’effet suspensif pour les cas graves
Ce qui est certain, c’est que cette réforme marque un tournant. L’Allemagne, longtemps présentée comme championne de la transition écologique, choisit aujourd’hui la voie du pragmatisme infrastructurel, quitte à froisser ses engagements européens et une partie de sa société civile.
Restera à voir si ce pari politique paiera… ou si les tribunaux finiront, une nouvelle fois, par trancher en faveur du droit à contester.









