Ils courent, ils dribblent, ils marquent pendant les entraînements. Mais le samedi venu, ils restent en tribunes, téléphone à la main, à regarder leurs copains jouer. En Bretagne, près d’une centaine de jeunes migrants, tous pris en charge comme mineurs non accompagnés (MNA), se retrouvent chaque semaine cette même frustration : impossible d’obtenir une licence officielle pour disputer des matchs en compétition.
Un simple ballon devenu inaccessible
Pour ces adolescents, le football représente bien plus qu’un loisir. Arrivés seuls en France après des parcours souvent dramatiques, le terrain est l’un des rares endroits où ils oublient un instant les galères administratives, les souvenirs douloureux et l’incertitude de demain. Un président de club amateur du Finistère le résume simplement : « Quand ils sont sur le terrain, ils sourient enfin. »
Malheureusement, depuis cette saison, le sourire s’arrête au bord du terrain.
Que s’est-il passé exactement ?
Jusqu’à l’an dernier, la Fédération française de football bénéficiait d’une dérogation spéciale accordée par la FIFA. Cette dernière fermait les yeux et laissait la FFF délivrer directement les licences aux mineurs non accompagnés dans le cadre du football amateur. Un système pragmatique qui fonctionnait depuis des années.
Mais la dérogation a été révoquée sans préavis. Désormais, la FIFA exige, pour tout joueur mineur venant de l’étranger, deux documents précis :
- La copie de la décision accordant le statut de réfugié ou une protection subsidiaire
- Une attestation expliquant les motifs du déplacement vers la France
Problème : en France, la très grande majorité de ces jeunes n’a pas le statut de réfugié. Ils relèvent de la protection de l’enfance (ASE – Aide sociale à l’enfance), un dispositif totalement distinct du droit d’asile. Et surtout, les pièces justificatives de leur prise en charge sont couvertes par le secret administratif et la protection des mineurs. Impossible donc de les transmettre à une instance sportive privée comme la FIFA.
« Ce sont des pièces confidentielles, que les services ne peuvent pas donner. Donc la situation est complètement bloquée. »
Luc Tréguer, président de la commission engagement district Finistère
La LDH crie à la discrimination
Pour Pierre Bodénez, président de la Ligue des droits de l’homme à Brest, il n’y a aucun doute : ces exigences constituent une discrimination évidente à l’égard des mineurs non accompagnés. Il s’insurge :
« Il y a une confusion, de la part de la FIFA, entre le statut de réfugié et celui de mineur non accompagné. En France, le mineur non accompagné relève de la protection de l’enfance, pas du droit des réfugiés. »
La LDH nationale prévoit d’intervenir auprès de la Défenseure des droits, du ministère des Sports et de la FFF. Et si rien ne bouge, l’association n’exclut pas de porter l’affaire devant les tribunaux au pénal pour discrimination.
Les clubs amateurs bretons en première ligne
Dans les petits clubs du Finistère, des Côtes-d’Armor ou du Morbihan, l’impact est immédiat. Certains présidents racontent avoir jusqu’à dix jeunes concernés dans une seule équipe U18. Les éducateurs se retrouvent dans une situation ubuesque : ils intègrent les jeunes à l’entraînement pour favoriser leur insertion, mais doivent les laisser sur le banc le jour du match.
Un dirigeant confie anonymement : « On a un gamin qui est clairement le meilleur attaquant de l’équipe. Il met des triplés à l’entraînement. Mais on ne peut pas le faire jouer en championnat. C’est rageant pour lui comme pour nous. »
La position officielle de la FIFA
De son côté, la FIFA justifie son durcissement par la lutte contre la traite des mineurs footballeurs, un fléau réel en Afrique et en Amérique du Sud où des jeunes sont parfois déplacés de force par des agents peu scrupuleux. Les nouvelles règles, appliquées mondialement depuis 2023, visent à protéger les enfants en exigeant une traçabilité claire de leur venue.
Mais en Europe, et particulièrement en France, le profil des MNA est très différent : la majorité arrive par ses propres moyens, fuyant la misère ou la violence, sans intermédiaire. Appliquer la même règle sans nuance revient, pour les associations, à pénaliser des victimes au nom de la protection d’autres victimes.
Un précédent qui fait réfléchir
En 2022, la FIFA avait déjà créé la polémique en bloquant temporairement les licences de jeunes Ukrainiens fuyant la guerre. Face au tollé international, l’instance avait fini par accorder une dérogation exceptionnelle. Preuve que des solutions existent quand la pression est suffisante.
Va-t-on vers le même scénario en France ? Rien n’est moins sûr. La LDH et les clubs bretons espèrent une réaction rapide du ministère des Sports et de la FFF avant la fin de l’année.
Et les jeunes dans tout ça ?
Derrière les débats administratifs et les communiqués, il y a des adolescents de 15, 16 ou 17 ans qui ne comprennent pas pourquoi on leur refuse le droit de faire ce qu’ils aiment le plus. Certains commencent à décrocher des entraînements, déçus. D’autres se demandent si la France les accepte vraiment.
Un éducateur raconte la phrase d’un jeune Guinéen : « Chez moi, je jouais pieds nus sur la terre. Ici, j’ai des vraies chaussures, un vrai terrain… mais on me dit que je n’ai pas le droit de jouer. C’est pire qu’avant. »
Cette histoire bretonne n’est que la partie visible d’un problème beaucoup plus large : comment intégrer concrètement des milliers de mineurs isolés étrangers dans notre société, quand les règles internationales censées les protéger finissent parfois par les exclure ?
Le ballon rond, symbole universel d’intégration et de fraternité, se retrouve aujourd’hui au cœur d’un imbroglio administratif qui laisse un goût amer. Espérons que le dialogue entre la FIFA, l’État français et les associations aboutisse rapidement. Car pendant ce temps, une centaine de jeunes attendent toujours sur le banc.
Un gamin qui marque trois buts à l’entraînement mais ne peut pas jouer le samedi…
On marche sur la tête.
L’affaire est à suivre de très près dans les prochaines semaines.









