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Crimes de Guerre en Libye : Première Comparution à la CPI

Un directeur de prison libyen vient de comparaître pour la première fois devant la CPI. Accusé d’avoir supervisé meurtres, viols et tortures pendant cinq ans… Mais que cachent vraiment les murs de la prison de Mitiga ? L’enquête révèle des détails glaçants qui pourraient enfin faire la lumière sur le chaos libyen post-Kadhafi.

Imaginez une prison où le froid tue autant que les coups. Où des adolescents de quinze ans sont livrés à la violence sexuelle. Où des détenus meurent de faim pendant que leurs gardiens regardent ailleurs… ou participent. C’est la réalité terrifiante qui se cachait derrière les murs de la prison de Mitiga, près de Tripoli, pendant près de cinq années.

Mercredi, pour la première fois depuis l’ouverture de l’enquête sur la Libye en 2011, un homme a comparu devant la Cour pénale internationale. Son nom : Khaled Mohamed Ali El Hishri. Son ancien poste : directeur de l’une des prisons les plus redoutées du pays.

Une comparution historique devant la CPI

À 47 ans, cet ancien responsable libyen fait face à douze chefs d’accusation particulièrement lourds. Six crimes de guerre. Six crimes contre l’humanité. Les faits reprochés couvrent la période allant de février 2015 à début 2020, une des plus sombres de l’histoire récente du pays.

Arrêté en Allemagne cet été, il a été transféré lundi à La Haye. Mercredi, il a donc vécu sa première comparution initiale. Prochaine étape : l’audience de confirmation des charges, qui déterminera s’il y aura ou non un procès complet.

Les accusations précises et accablantes

La Cour estime qu’il existe des motifs raisonnables de croire que Khaled Mohamed Ali El Hishri a personnellement tué un détenu. Mais ce n’est que la partie émergée de l’iceberg.

Pendant les années où il dirigeait la prison de Mitiga, un nombre important de personnes sont mortes sous sa responsabilité. Les causes ? Multiples et toutes plus terribles les unes que les autres.

  • Tortures systématiques
  • Exposition volontaire au froid glacial en plein hiver
  • Blessures délibérément non soignées
  • Famine organisée
  • Meurtres directs

Des détenus laissés dehors en hiver jusqu’à ce que mort s’ensuive. Des blessures infectées parce que refus de soins. Des rations alimentaires réduites au strict minimum, voire supprimées. Voilà le quotidien que dénonce le mandat d’arrêt.

Des violences sexuelles documentées

Mais les accusations les plus choquantes concernent peut-être les violences sexuelles. Le document officiel mentionne au moins cinq cas de viol sur des détenus masculins, dont un garçon de seulement quinze ans. Ces actes auraient été commis soit par des gardiens, soit par d’autres prisonniers, sous l’autorité ou avec la complicité du directeur.

Des femmes détenues ont également subi des agressions sexuelles. La prison de Mitiga n’était pas seulement un lieu de détention : elle était devenue un lieu de terreur absolue où plus aucune règle humaine ne semblait s’appliquer.

« Des motifs raisonnables de croire qu’il a personnellement tué un détenu »

Extrait du mandat d’arrêt de la CPI

Mitiga, la prison de tous les cauchemars

Située près de l’aéroport de Tripoli, la prison de Mitiga est contrôlée par des milices armées depuis la chute du régime de Mouammar Kadhafi. Officiellement, elle dépend du ministère de l’Intérieur du gouvernement reconnu par l’ONU. Dans les faits, elle échappe à tout contrôle réel.

Pendant des années, des ONG et des familles de disparus ont dénoncé ce qui s’y passait. Des témoignages glaçants ont circulé : détenus pendus par les poignets, électrocutés, brûlés avec des cigarettes, forcés à rester debout des jours entiers.

Aujourd’hui, la CPI semble confirmer le pire. Et ce n’est peut-être que le début : Khaled Mohamed Ali El Hishri est le premier, mais probablement pas le dernier à devoir répondre de ces actes.

Un pays toujours divisé, quatorze ans après Kadhafi

Pour comprendre comment on en est arrivé là, il faut remonter à 2011. L’intervention militaire soutenue par l’OTAN met fin à quarante-deux ans de dictature. Mais au lieu de la démocratie promise, c’est le chaos qui s’installe.

Aujourd’hui encore, la Libye reste coupée en deux. À l’ouest, le gouvernement basé à Tripoli, reconnu internationalement. À l’est, les autorités parallèles soutenues par le maréchal Khalifa Haftar et son Armée nationale libyenne.

Entre les deux, des dizaines de milices armées font la loi. Certaines contrôlent des prisons comme Mitiga. D’autres gèrent des routes, des puits de pétrole ou des trafics en tout genre. L’État de droit ? Un souvenir lointain pour beaucoup de Libyens.

La longue route de la justice internationale

L’enquête de la CPI sur la Libye a été ouverte dès mars 2011, quelques semaines seulement après le début du soulèvement. Pourtant, quatorze ans plus tard, cette comparution est la première concrète.

Pourquoi avoir attendu si longtemps ? Les raisons sont multiples : difficultés d’accès au terrain, absence de coopération des autorités libyennes, complexité des chaînes de commandement dans un pays où le pouvoir est éclaté entre centaines de groupes armés.

Mais cette première comparution change la donne. Elle envoie un message clair : personne ne sera intouchable éternellement. Même dans un pays où l’impunité a longtemps régné en maître.

Que va-t-il se passer maintenant ?

L’audience de confirmation des charges aura lieu dans les prochains mois. Les juges examineront alors si les preuves réunies par le procureur sont suffisantes pour justifier un procès complet.

Si oui, ce sera un procès historique : le premier consacré spécifiquement aux exactions commises après 2014 en Libye. Un procès qui pourrait durer des années, mais qui pourrait aussi ouvrir la voie à d’autres poursuites.

Car derrière Khaled Mohamed Ali El Hishri, d’autres noms circulent. D’autres responsables de prisons, de milices, de centres de détention pour migrants. La liste est longue, et la CPI semble déterminée à poursuivre son travail.

Un espoir pour les victimes

Pour les familles qui attendent depuis des années des nouvelles de leurs proches disparus à Mitiga, cette comparution représente un immense espoir. Même si la justice internationale est lente, même si elle ne pourra jamais ramener les morts, elle peut au moins reconnaître leur souffrance.

Elle peut nommer les responsables. Leur faire affronter leurs actes. Et peut-être, un jour, contribuer à briser le cycle de violence qui ravage la Libye depuis tant d’années.

Au-delà du cas individuel, c’est tout un système d’impunité qui est aujourd’hui remis en question. Et dans un pays où la loi du plus fort a trop longtemps prévalu, cela n’a pas de prix.

L’histoire de la prison de Mitiga n’est pas terminée. Mais pour la première fois, elle s’écrit aussi dans une salle d’audience de La Haye. Et cela change tout.

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