Imaginez ouvrir un coffre-fort dans le bureau d’un responsable religieux et y découvrir plus de 126 000 euros en petites coupures. Ce n’est pas le scénario d’un film policier, mais bien ce qui s’est passé à Nice, dans la mosquée En-Nour. Une somme qui soulève immédiatement des questions dérangeantes sur l’origine et la gestion de cet argent.
Une découverte qui met le feu aux poudres
Fin août, un huissier mandaté dans le cadre d’un conflit interne constate la présence de 126 485 euros en liquide soigneusement rangés dans le coffre personnel de l’imam Mahmoud Benzamia. L’information, d’abord gardée confidentielle, finit par remonter jusqu’à la préfecture des Alpes-Maritimes.
Face à l’ampleur de la somme et à l’absence d’explications claires, le préfet Laurent Hottiaux active l’article 40 du code de procédure pénale. Ce dispositif oblige toute autorité publique ayant connaissance d’un possible délit à en informer immédiatement le procureur. Quelques jours plus tard, une enquête préliminaire est ouverte pour abus de confiance et blanchiment.
Les investigations sont confiées au service interdépartemental de la police judiciaire des Alpes-Maritimes. Leur mission : retracer l’origine de chaque billet et comprendre comment une telle quantité d’argent liquide a pu être conservée dans les murs d’une mosquée.
Un climat interne déjà explosif
Avant même cette découverte, l’institut En-Nour traversait une crise profonde. Des bénévoles, épuisés par ce qu’ils décrivent comme une gestion autoritaire, avaient cessé leurs activités. Au cœur de leurs reproches : les appels répétés et pressants de l’imam aux dons pendant les prêches.
« Soyez généreux ! Vos cartes, vos poches, videz tout… Les femmes, donnez l’or, l’argent, donnez tout… »
Ces phrases, prononcées régulièrement lors des offices, ont fini par choquer une partie des fidèles. Plusieurs d’entre eux estiment que les dons étaient collectés sans aucune transparence sur leur utilisation finale.
En septembre, lors d’une assemblée tendue, l’imam reconnaît d’abord détenir environ 40 000 euros. Devant l’insistance des membres présents, il finit par ouvrir son coffre et en sortir… plus de trois fois cette somme. Un moment de sidération générale.
Pourquoi tant d’argent en liquide ?
Dans une association cultuelle, la tenue d’une comptabilité rigoureuse est une obligation légale. Pourtant, ici, plus de 126 000 euros échappent totalement aux comptes officiels. Les petites coupures laissent penser à des dons collectés directement lors des prières ou des événements religieux.
Mais cette pratique pose problème à plusieurs niveaux. D’abord fiscal : les dons en espèces supérieurs à certains montants doivent être déclarés. Ensuite sécuritaire : conserver de telles sommes expose à des risques de vol ou pire. Enfin, et surtout, cela ouvre la porte à tous les soupçons de détournement ou de blanchiment.
Les enquêteurs vont devoir examiner plusieurs années de flux financiers. Qui donnait ? Combien ? Ces dons étaient-ils déclarés aux fidèles ? Servaient-ils vraiment aux œuvres de la mosquée ou à autre chose ? Autant de questions qui restent pour l’instant sans réponse.
Une tentative de reprise en main
Face à la dégradation du climat, le président de l’association gestionnaire, Adil Echaoui, a pris une décision forte en octobre : demander au tribunal la nomination d’une administratrice judiciaire provisoire. Objectif : remettre de l’ordre dans les comptes et organiser de nouvelles élections dans un cadre apaisé.
Cette administratrice, issue du cabinet Huertas, a désormais pour mission de faire la lumière sur la gestion passée et de rétablir des pratiques conformes à la loi de 1905 sur les associations cultuelles. Un signe que même en interne, la situation était jugée intenable.
Le centre islamique algérien au cœur des débats
L’établissement se présente officiellement comme le « Centre islamique algérien » de Nice. Cette appellation, assumée publiquement par l’imam sur des chaînes étrangères, avait déjà créé la polémique. Elle pose la question du lien entre ce lieu de culte français et des influences étrangères.
Dans ce contexte, la découverte d’une telle somme en liquide prend une dimension supplémentaire. Certains y voient la preuve d’un financement opaque, potentiellement lié à des réseaux extérieurs. D’autres estiment qu’il s’agit simplement d’une très mauvaise gestion, sans intention criminelle.
Quoi qu’il en soit, l’affaire illustre les difficultés rencontrées par les pouvoirs publics pour contrôler efficacement le financement des lieux de culte, en particulier quand une partie importante des dons échappe aux circuits bancaires classiques.
Que risque vraiment l’imam Benzamia ?
Pour l’instant, Mahmoud Benzamia n’a pas été mis en examen. L’enquête est en phase préliminaire et rien ne permet d’affirmer qu’il y a eu intention frauduleuse. Cependant, les chefs d’accusation retenus sont lourds.
L’abus de confiance peut être puni de 7 ans de prison et 750 000 euros d’amende lorsqu’il est commis par une personne dépositaire de l’autorité publique ou investie d’une mission de service public – ce qui peut inclure les responsables d’associations cultuelles dans certaines interprétations.
Le blanchiment, même en bande organisée, expose à des peines encore plus sévères. Mais pour l’instant, les enquêteurs doivent d’abord prouver que l’argent provient d’une infraction ou qu’il a été dissimulé dans un but frauduleux.
Un cas qui n’est malheureusement pas isolé
Ces dernières années, plusieurs affaires similaires ont éclaté en France. Des mosquées où des sommes importantes étaient conservées en liquide, des associations cultuelles dont les comptes présentaient d’étranges trous, des responsables qui mélangeaient fonds personnels et fonds de la communauté.
Ces dérives ne concernent pas que l’islam. Des paroisses catholiques, des temples protestants ou des associations bouddhistes ont aussi connu des scandales financiers. Mais dans le contexte actuel de vigilance accrue sur le financement du culte musulman, chaque affaire prend une résonance particulière.
Ce qui différencie le cas de Nice, c’est l’ampleur de la somme et le fait qu’elle était conservée dans le bureau même de l’imam, hors de tout contrôle collectif.
Vers plus de transparence pour tous les cultes ?
Cette affaire relance le débat sur la nécessité d’un meilleur encadrement des finances cultuelles. Plusieurs pistes sont régulièrement évoquées :
- L’obligation de passer par des comptes bancaires pour tous les dons supérieurs à un certain montant
- La publication annuelle des comptes des grandes associations cultuelles
- Des audits réguliers par des commissaires aux comptes indépendants
- Une formation spécifique des responsables religieux à la gestion associative
Certaines de ces mesures existent déjà pour les associations dépassant certains seuils, mais leur application reste inégale selon les cultes et les territoires.
L’affaire de la mosquée En-Nour pourrait servir de catalyseur. Car au-delà du sort personnel de l’imam Benzamia, c’est tout le système de collecte et de gestion des dons dans les lieux de culte qui est interrogé.
Les fidèles pris entre deux feux
Pendant ce temps, les pratiquants de la mosquée En-Nour vivent une situation difficile. Beaucoup continuent de fréquenter les lieux par attachement spirituel, mais avec une méfiance nouvelle. D’autres ont préféré prendre leurs distances en attendant que la vérité éclate.
« On venait prier tranquilles, pas se retrouver dans une affaire criminelle », confiait récemment un fidèle sous couvert d’anonymat. Ce sentiment de trahison est d’autant plus fort que les dons étaient présentés comme un acte de foi et de solidarité.
La nomination de l’administratrice judiciaire est perçue par certains comme une chance de tourner la page. Par d’autres, comme une ingérence extérieure dans les affaires de la communauté.
Un épilogue encore lointain
L’enquête du service interdépartemental de police judiciaire ne fait que commencer. Elle pourrait durer plusieurs mois, voire plusieurs années si elle devait déboucher sur un procès. Entre temps, la mosquée continue de fonctionner sous administration provisoire.
Une chose est sûre : cette affaire laissera des traces durables dans la communauté musulmane niçoise. Elle rappelle cruellement que la confiance, une fois brisée, met longtemps à se reconstruire.
Et pendant que les enquêteurs épluchent les comptes et interrogent les protagonistes, une question continue de hanter les esprits : que serait-il advenu si ce coffre n’avait jamais été ouvert ?
À suivre – Cette affaire illustre une fois de plus les défis posés par la transparence financière des lieux de culte en France. Elle pourrait déboucher sur des évolutions législatives importantes dans les mois à venir.









