Imaginez-vous rentrer chez vous un soir d’hiver. La porte forcée, les tiroirs retournés, vos objets les plus précieux disparus. En France, ce cauchemar concerne chaque année des centaines de milliers de foyers. Et pourtant, dans l’immense majorité des cas, les coupables ne sont jamais inquiétés.
Cette réalité brutale cache une vérité statistique que peu de gens connaissent vraiment. Quand on parle de cambriolages, deux chiffres reviennent sans cesse : un taux d’élucidation dramatiquement bas, autour de 6 %, et une proportion apparemment écrasante d’étrangers parmi les personnes mises en cause. Mais ces deux données sont-elles vraiment comparables ?
Le piège des statistiques partielles
Guillaume Farde, consultant en sécurité et ancien officier de gendarmerie, a récemment mis en lumière un biais fondamental que beaucoup ignorent. Lorsqu’on affirme que les étrangers représentent 35 % des mis en cause pour cambriolages, cette proportion ne concerne que les affaires élucidées. Autrement dit, les rares cas où la police parvient à identifier et interpeller des suspects.
Or, ce sous-ensemble n’est pas représentatif de l’ensemble des cambriolages commis. Les affaires résolues correspondent souvent à des délinquants moins expérimentés, moins organisés, ou qui commettent des erreurs grossières. Et c’est précisément là que réside le cœur du problème.
Pourquoi certains cambrioleurs se font prendre plus facilement
Les réseaux professionnels de cambrioleurs, particulièrement ceux venant de certains pays d’Europe de l’Est ou du Maghreb, opèrent avec une méthodologie quasi militaire. Repérages précis, véhicules volés avec fausses plaques, absence totale d’empreintes, départ immédiat vers le pays d’origine après un « tour » français de quelques semaines. Ces équipes laissent très peu de chances aux enquêteurs.
À l’inverse, certains délinquants agissent de manière plus impulsive, moins préparée. Ils peuvent être sous l’emprise de stupéfiants, commettre des erreurs élémentaires (laisser un téléphone sur place, être filmés clairement par une caméra, revenir sur les lieux). Ces profils correspondent souvent à des personnes déjà connues des services de police et parfois en situation irrégulière sur le territoire.
« Les étrangers qui se font prendre sont souvent ceux qui prennent le moins de précautions. Les vrais professionnels, eux, repartent avec le butin avant même qu’on ait lancé les investigations sérieuses. »
Guillaume Farde
Un taux d’élucidation qui masque la réalité
Le taux de 6 % d’affaires élucidées n’est pas une fatalité technique. Il résulte de plusieurs facteurs combinés qui créent un cercle vicieux particulièrement pervers.
- Les cambriolages sont rarement des priorités absolues pour les enquêteurs, débordés par d’autres formes de criminalité
- Les moyens d’investigation scientifique (ADN, téléphonie) sont coûteux et réservés aux affaires graves
- Beaucoup de victimes ne portent pas plainte, estimant que cela ne servira à rien
- Quand des professionnels étrangers sont identifiés, ils ont souvent déjà quitté le territoire
Résultat : les rares affaires qui aboutissent concernent majoritairement des auteurs « locaux » ou des délinquants peu organisés. Ce qui crée une distorsion statistique massive lorsqu’on extrait des conclusions sur la nationalité des cambrioleurs en général.
Les réseaux professionnels : l’iceberg invisible
Depuis une quinzaine d’années, les services spécialisés observent une professionnalisation croissante des équipes de cambrioleurs. Certaines filières, notamment géorgiennes, albanaises ou chiliennes, fonctionnent comme de véritables entreprises criminelles.
Ces groupes arrivent en France avec des véhicules loués sous de fausses identités, ciblent des zones résidentielles précises (souvent identifiées via Google Street View), opèrent en commandos de trois ou quatre personnes, et disparaissent en moins de trois semaines. Leur taux de réussite frise les 100 % en termes d’impunité.
Lorsqu’exceptionnellement l’un de ces réseaux est démantelé, c’est souvent grâce à des mois d’investigations transfrontalières, des écoutes, des filatures. Des moyens exceptionnels qui ne peuvent être déployés que sur une infime partie des affaires.
Les conséquences sur le débat public
Ce biais statistique a des effets concrets sur la perception de l’insécurité. Quand les médias ou les responsables politiques citent le chiffre de 35 % d’étrangers mis en cause, ils s’appuient sur une réalité partielle qui ne reflète pas la totalité du phénomène.
Pire : cette présentation peut conduire à deux erreurs symétriques. Soit minimiser l’impact réel de certaines formes de délinquance transfrontalière organisée, soit stigmatiser l’ensemble des personnes étrangères alors que les réseaux les plus efficaces passent précisément sous les radars statistiques.
La vérité, plus nuancée, est que le cambriolage en France combine plusieurs phénomènes distincts :
- La petite délinquance locale, souvent liée à la toxicomanie
- Les équipes mobiles ultra-professionnelles étrangères
- Les cambrioleurs « opportunistes » qui profitent d’une porte mal fermée
- Les réseaux spécialisés dans le haut de gamme (bijoux, œuvres d’art)
Que faire concrètement ?
Reconnaître ce biais statistique n’équivaut pas à nier le problème. Bien au contraire. Cela permet d’identifier les vraies solutions plutôt que de se perdre dans des débats stériles sur des chiffres mal interprétés.
Les pays qui ont réussi à faire baisser significativement les cambriolages (comme l’Espagne ou le Royaume-Uni à certaines périodes) l’ont fait en combinant plusieurs leviers :
- Renforcement de la coopération européenne contre les réseaux mobiles
- Développement massif de la vidéosurveillance intelligente
- Création d’unités spécialisées dédiées exclusivement aux cambriolages
- Durcissement des peines pour récidive et expulsion systématique des délinquants étrangers condamnés
- Sensibilisation des particuliers à la sécurisation de leur domicile
En France, certaines initiatives locales montrent la voie. Dans plusieurs départements, la création de groupes d’enquête dédiés aux cambriolages a permis de multiplier par trois ou quatre le taux d’élucidation en quelques mois seulement.
Comprendre le biais statistique révélé par Guillaume Farde n’est pas une manière de minimiser le phénomène. C’est au contraire la condition pour le combattre efficacement. Car tant qu’on raisonnera sur des données partielles, on appliquera des solutions inadaptées à un problème mal compris.
Derrière les chiffres froids se cachent des vies brisées, des familles traumatisées, un sentiment d’insécurité qui ronge le quotidien de millions de Français. Il est temps de regarder la réalité en face, dans toute sa complexité, pour enfin apporter des réponses à la hauteur du problème.
Car si certains cambrioleurs se font prendre parce qu’ils sont moins prudents, les plus dangereux, eux, continuent tranquillement leur travail. Et tant que ce biais ne sera pas compris et corrigé, ils auront toujours une longueur d’avance.









