Imaginez : vous ouvrez votre application de courtage habituelle et, parmi les ETF Bitcoin et Ethereum qui trustent déjà les portefeuilles, vous découvrez soudain un « Pi Network ETF ». Des millions de Pioneers exultent, les réseaux s’enflamment, le prix du PI explose. Scénario crédible ? Pas si vite. Malgré les rumeurs persistantes et les progrès indéniables du projet, la réalité reste bien plus nuancée… et nettement moins rose pour ceux qui rêvent d’un produit institutionnel dès demain.
Un ETF Pi Network : le rêve qui fait saliver la communauté
Depuis plusieurs mois, une rumeur tenace circule : un ETF adossé au token PI serait en préparation, voire déjà déposé confidentiellement auprès de la SEC ou d’un régulateur européen. Certains vont jusqu’à affirmer qu’un listing MiCA-compliant sur OKX Europe, prévu fin novembre 2025, servirait de rampe de lancement. L’idée fait sens : après le succès retentissant des ETF Bitcoin et Ethereum aux États-Unis, tous les projets ambitieux veulent leur part du gâteau institutionnel.
Mais entre le fantasme communautaire et la froide réalité des marchés réglementés, il y a un océan. Et cet océan porte plusieurs noms : liquidité, prix discovery, custody, conformité. Autant de critères que Pi Network, malgré ses 60 millions d’utilisateurs déclarés, ne coche tout simplement pas encore.
Premier obstacle majeur : l’absence de véritable prix discovery
Quand BlackRock ou Fidelity lancent un ETF, ils s’appuient sur un prix de marché incontestable, formé 24 h/24 sur des plateformes régulées du monde entier. Pour Bitcoin ou Ethereum, c’est acquis depuis des années. Pour Pi ? La situation est bien plus floue.
Certes, le token s’échange déjà sur plusieurs plateformes centralisées et décentralisées. On voit même un prix s’afficher en temps réel (autour de 0,26 $ au moment où j’écris ces lignes). Mais ce prix reste extrêmement manipulable : le volume quotidien oscille souvent sous les 100 millions de dollars, contre plusieurs dizaines de milliards pour les leaders. Un seul gros ordre peut faire bouger le cours de 10 % en quelques minutes.
Or un ETF nécessite un sous-jacent liquide et résistant à la manipulation. Les régulateurs américains l’ont martelé lors des multiples refus d’ETF Solana ou XRP : sans profondeur de marché réelle, pas de produit institutionnel possible.
« Un ETF n’est pas un simple véhicule marketing. C’est un produit qui doit refléter fidèlement la valeur de l’actif, même quand des milliards entrent ou sortent en une journée. »
Un gérant de fonds crypto européen, sous couvert d’anonymat
Deuxième mur : l’absence totale de custodian réglementé
Pour créer un ETF physique (le seul modèle accepté par la SEC jusqu’à présent), il faut qu’une banque dépositaire agréée accepte de détenir les tokens. Coinbase Custody, Fidelity Digital Assets ou BNY Mellon le font pour Bitcoin et Ethereum. Qui accepte de garder des PI aujourd’hui ? Personne.
Le problème n’est pas technique : n’importe quel custodian peut ajouter une nouvelle blockchain. Il est juridique et réputationnel. Tant que le mainnet Pi reste perçu comme « semi-ouvert » (des millions de tokens encore verrouillés, KYC incomplet pour une partie des utilisateurs), aucune institution traditionnelle ne voudra prendre le risque.
Le listing MiCA-compliant annoncé sur OKX Europe changera-t-il la donne ? Probablement un peu pour la liquidité européenne, mais pas pour la custody. OKX n’est pas un custodian qualifié au sens américain ou européen strict. Il faudrait un acteur comme Fireblocks, Copper.co ou même une grande banque qui accepte enfin le PI dans ses coffres. On en est très loin.
Troisième frein : la maturité réglementaire du projet lui-même
Pi Network a fait d’énormes progrès depuis 2024 : ouverture progressive du mainnet, migration massive des soldes, programme KYC accéléré, brûlage de tokens non migrés… Tout cela va dans le bon sens. Mais soyons honnêtes : le projet traîne encore une image de « mining sur smartphone » parfois associée (à tort ou à raison) aux arnaques du passé.
Les régulateurs, eux, se souviennent parfaitement des ICO de 2017-2018. Ils demandent aujourd’hui une transparence totale : code audité, gouvernance claire, absence de pré-mine excessif, tokens réellement en circulation. Pi progresse, mais chaque étape prend du temps. Et tant que le réseau n’est pas considéré comme 100 % « open network » par la communauté technique elle-même, les autorités resteront méfiantes.
Les 4 critères incontournables pour un ETF crypto (selon la SEC)
- Marché sous-jacent résistant à la manipulation → volume profond, multiples venues régulées
- Accords de surveillance partagée → entre exchanges et autorités
- Custody qualifiée → institution régulée acceptant l’actif
- Prix de référence fiable → indice reconnu (CME pour Bitcoin, par exemple)
Pi Network ne coche encore aucun de ces critères de façon incontestable.
Le précédent des autres altcoins : une leçon à méditer
Regardons Solana, Cardano ou Polygon. Des projets solides, des capitalisations à plusieurs dizaines de milliards, des écosystèmes florissants… et pourtant zéro ETF spot aux États-Unis à l’heure actuelle. Grayscale a bien tenté pour Solana, mais la SEC a répondu « pas encore ». Si même Solana attend, comment imaginer Pi Network passer devant la file ?
En Europe, MiCA ouvre des portes, mais le cadre est encore plus strict sur la custody et la protection des investisseurs. Un ETF européen sur Pi nécessiterait l’approbation de la BaFin, de l’AMF ou de la CSSF. Ces régulateurs regardent d’abord la substance, pas le nombre d’utilisateurs sur smartphone.
Et pourtant… des signaux encourageants existent
Il serait injuste de tout noircir. Le chemin parcouru en deux ans est colossal. Le 28 novembre 2025 marquera peut-être une étape décisive avec ce fameux listing OKX Europe respectant MiCA. Si le volume explose durablement au-dessus du milliard quotidien, si de gros acteurs annoncent des partenariats de custody, si le KYC atteint 90-95 % des soldes migrés… alors oui, la conversation sur un ETF deviendra sérieuse.
Certains analystes estiment même qu’un ETF Pi pourrait voir le jour dès 2026-2027 si tout s’aligne parfaitement. Ce serait alors une validation définitive du modèle « mobile mining » et une revanche éclatante pour les millions de Pioneers moqués pendant des années.
Conclusion : patience et réalisme
Non, il n’y a pas d’ETF Pi Network déposé secrètement. Non, le listing OKX de novembre ne suffira pas à lui seul. Oui, le projet avance à grands pas. Mais entre « avancer » et « être prêt pour un produit institutionnel coté en bourse », il reste un fossé que seuls le temps, la transparence et la liquidité réelle pourront combler.
Pour l’investisseur averti, cela signifie une chose simple : profitez des opportunités actuelles sur le marché spot si vous croyez au projet, mais ne misez pas votre stratégie sur un ETF qui n’arrivera pas avant plusieurs trimestres, voire années. L’histoire des cryptomonnaies nous l’a appris : les révolutions prennent du temps. Et c’est précisément ce qui les rend si passionnantes.
Le PI à 100 $, à 1000 $ ou dans un ETF coté ? Peut-être un jour. Mais pas demain matin.









