L’eau, ressource vitale, est au cœur d’un nouveau débat en Argentine. Le gouvernement de Javier Milei, connu pour ses réformes ultralibérales, vient d’annoncer une décision qui pourrait transformer la vie de millions d’habitants de Buenos Aires : la privatisation d’AySA, la compagnie publique en charge de l’approvisionnement en eau et de l’assainissement. Cette initiative, qui touche plus de 11 millions de personnes, soulève des questions brûlantes : modernisera-t-elle un service essentiel ou fragilisera-t-elle un bien commun ? Plongeons dans les détails de cette réforme audacieuse.
Un Retour à la Privatisation : Contexte et Enjeux
En 2023, Javier Milei a pris les rênes de l’Argentine avec une promesse claire : libéraliser l’économie et réduire le poids de l’État. Parmi ses priorités, la privatisation de plusieurs entreprises publiques, dont AySA, figure en bonne place. Cette société, qui gère l’eau et l’assainissement pour Buenos Aires et une partie de sa périphérie, n’en est pas à sa première transformation. Dans les années 1990, sous un autre nom, elle avait déjà été cédée à un consortium mené par un géant français, avant d’être renationalisée en 2006 sous la présidence de Nestor Kirchner. Ce va-et-vient entre public et privé reflète les tensions historiques autour de la gestion des services essentiels en Argentine.
Pourquoi relancer cette privatisation aujourd’hui ? Selon le gouvernement, l’objectif est clair : moderniser les infrastructures, améliorer la qualité du service et optimiser les coûts. Mais cette décision intervient dans un contexte économique tendu, marqué par une austérité budgétaire sans précédent. Depuis l’arrivée de Milei au pouvoir, environ 50 000 emplois publics ont été supprimés, et AySA n’a pas été épargnée, passant de 7 500 à 6 200 employés entre début 2024 et mai 2025.
Le Plan de Privatisation : Comment Ça Marche ?
Le processus de privatisation d’AySA, annoncé récemment, repose sur un modèle hybride. Le gouvernement prévoit de transférer 90 % des actions de l’entreprise à des investisseurs privés via deux mécanismes :
- Un appel d’offres public, national et international, pour sélectionner un opérateur stratégique capable de gérer l’entreprise.
- Une offre publique permettant à d’autres investisseurs d’acquérir des parts du capital.
Les 10 % restants du capital seront réservés aux employés d’AySA dans le cadre d’un programme de propriété partagée. Selon Manuel Adorni, porte-parole présidentiel, cette mesure vise à impliquer les travailleurs dans la transition tout en garantissant une certaine stabilité sociale. Mais ce schéma, bien que structuré, suscite des interrogations : qui seront les futurs propriétaires ? Et surtout, quelles seront les conséquences pour les usagers ?
« Cette privatisation vise à moderniser, améliorer les prix et la qualité du service. »
Manuel Adorni, porte-parole du gouvernement argentin
AySA : Une Entreprise sous Pression
AySA n’est pas une entreprise publique comme les autres. Fournissant de l’eau potable et des services d’assainissement à plus de 11 millions de personnes, elle joue un rôle crucial dans la vie quotidienne de la capitale argentine et de ses environs. Pourtant, le gouvernement pointe du doigt une détérioration des infrastructures et des pratiques discutables, comme l’utilisation de fonds pour sponsoriser des événements dans des municipalités alliées. Ces critiques, bien que controversées, servent de justification à la réforme.
Sur le plan financier, AySA affiche un visage contrasté. En 2024, l’entreprise a enregistré un excédent d’exploitation, une première depuis 2007. Cependant, cette amélioration s’accompagne d’une réduction drastique des effectifs, conséquence directe de l’austérité imposée par le gouvernement. Entre suppressions d’emplois et accusations de mauvaise gestion, AySA se trouve à un tournant décisif.
Un Contexte d’Austérité et de Réformes
La privatisation d’AySA s’inscrit dans une vague plus large de réformes économiques. Depuis son arrivée au pouvoir, Javier Milei a ciblé plusieurs entités publiques pour des privatisations totales ou partielles, incluant la poste nationale, la banque nationale et l’opérateur ferroviaire. Initialement, plus de 40 entreprises étaient dans le viseur, mais le Parlement a réduit cette liste à une dizaine en 2024, un revers pour l’exécutif.
Ce virage libéral s’accompagne d’une politique d’austérité qui a transformé le paysage économique argentin. Les suppressions massives d’emplois publics, combinées à des coupes budgétaires, ont suscité des tensions sociales. Dans ce contexte, la décision de privatiser AySA pourrait être perçue comme un pari risqué, surtout pour un service aussi essentiel que l’accès à l’eau.
Entreprise Publique | Secteur | Statut |
---|---|---|
AySA | Eau et assainissement | Privatisation en cours |
Correo Argentino | Poste | Réduction d’effectifs |
Operador Argentina | Transport ferroviaire | Privatisation envisagée |
Les Enjeux pour les Habitants
Pour les 11 millions d’usagers d’AySA, la question centrale est simple : que va changer cette privatisation ? Le gouvernement promet une amélioration de la qualité du service et des prix plus compétitifs, mais les expériences passées incitent à la prudence. Lors de la première privatisation dans les années 1990, les tarifs avaient augmenté pour de nombreux foyers, tandis que les investissements dans les infrastructures n’avaient pas toujours suivi.
Les habitants de Buenos Aires, déjà confrontés à une inflation galopante et à une précarité économique, craignent une hausse des coûts de l’eau. De plus, la réduction des effectifs d’AySA pourrait affecter la maintenance des réseaux, un point critique dans une ville où les infrastructures sont souvent vieillissantes.
Un Débat Plus Large sur l’Eau comme Bien Commun
L’eau est plus qu’un service : c’est un droit fondamental. La décision de confier sa gestion à des acteurs privés ravive un débat mondial sur la marchandisation des ressources essentielles. En Argentine, où les inégalités sociales sont marquées, la question de l’accès à l’eau potable est particulièrement sensible. Les critiques du gouvernement Milei estiment que cette réforme pourrait accentuer les disparités, en favorisant les zones rentables au détriment des quartiers populaires.
Pourtant, les défenseurs de la privatisation arguent que le secteur privé peut apporter l’efficacité et les investissements nécessaires pour moderniser un système en difficulté. Ils pointent du doigt les excédents récents d’AySA comme preuve qu’une gestion rigoureuse peut porter ses fruits, même dans un cadre public.
Et Après ? Les Défis à Venir
La privatisation d’AySA n’est qu’une étape dans le vaste projet de réforme de Javier Milei. Mais elle pourrait devenir un symbole, pour le meilleur ou pour le pire. Si elle réussit, elle pourrait valider la vision ultralibérale du président. En cas d’échec, elle risque d’alimenter les critiques contre une politique jugée trop radicale.
Pour l’heure, les Argentins attendent des réponses concrètes : les tarifs resteront-ils accessibles ? Les infrastructures seront-elles réellement modernisées ? Et surtout, l’eau, ce bien vital, restera-t-elle à la portée de tous ? Les mois à venir seront décisifs pour juger de l’impact de cette réforme audacieuse.