Dans un quartier au sud de San Salvador, une femme de 65 ans scrute la colline voisine avec méfiance. Elle a vu des horreurs : des corps abandonnés, des assassinats brutaux, une vie rythmée par la peur. Aujourd’hui, le calme semble revenu, mais le murmure persiste : les gangs, bien que discrets, n’ont pas disparu. Cette tension palpable, entre espoir d’une vie meilleure et crainte d’un retour à la violence, définit le quotidien de nombreux Salvadoriens. Depuis trois ans, le président Nayib Bukele mène une guerre sans merci contre les gangs qui ont transformé le Salvador en l’un des pays les plus violents au monde. Mais à quel prix ?
Une Guerre Contre les Gangs qui Change la Donne
Le Salvador, marqué par des décennies de violence, a vu son paysage social bouleversé par l’offensive du président Bukele contre les gangs. En mars 2022, l’instauration d’un État d’urgence a permis l’arrestation de plus de 87 000 personnes, souvent sans mandat. Cette répression massive a ciblé des groupes comme la Mara Salvatrucha (MS-13) et le Barrio 18, qui contrôlaient autrefois 85 % du territoire national. Les chiffres parlent d’eux-mêmes : le taux d’homicides a chuté de manière spectaculaire, faisant du Salvador, selon Bukele, “le pays le plus sûr au monde”.
Cette transformation est particulièrement visible dans des quartiers comme le 10 de Octubre, à San Marcos, près de la capitale. Autrefois bastion de la MS-13, ce lieu était un no-man’s-land où la peur dictait chaque mouvement. Aujourd’hui, les rues s’animent : des stands de légumes prospèrent, des livreurs sillonnent les routes, et les habitants osent sortir. Mais derrière cette apparente normalité, une tension subsiste. Les gangs, bien que contenus, restent une menace latente.
Un Passé Marqué par la Violence
Pour comprendre l’ampleur du changement, il faut plonger dans le passé de quartiers comme le 10 de Octubre. Pendant des décennies, la MS-13 et le Barrio 18 ont imposé leur loi par la terreur. Extorsion, trafic de drogue et assassinats étaient monnaie courante. Une habitante, Esperanza, raconte :
“J’ai vu des corps allongés, abattus ou poignardés. Il y a un cimetière clandestin sur la colline.”
Esperanza, 65 ans, résidente du quartier
Sa voix tremble lorsqu’elle évoque les drames personnels : sa nièce de 12 ans, assassinée pour avoir refusé de rejoindre le gang, sa mère tuée pour l’avoir défendue, et le mari de sa sœur éliminé pour avoir résisté à l’extorsion. Ces récits ne sont pas isolés. Dans ce quartier, la vie était une survie, rythmée par des règles strictes : se taire, se cacher, ne rien voir.
Les gangs utilisaient même les enfants comme guetteurs, exploitant leur vulnérabilité pour maintenir leur emprise.
Le chef local de la MS-13, surnommé “le Crook d’Hollywood”, régnait en maître sur le 10 de Octubre. Les graffitis marquant son territoire ont aujourd’hui été remplacés par des fresques colorées de papillons et de fleurs, symboles d’un renouveau fragile. Mais pour beaucoup, ces peintures ne suffisent pas à effacer les cicatrices.
Une Paix Fragile sous Surveillance Militaire
La stratégie de Bukele repose sur une militarisation massive. Le quartier 10 de Octubre, comme d’autres zones sensibles, est désormais sous protection militaire. Cette présence dissuasive a permis de reprendre le contrôle des territoires gangrénés par la violence. Récemment, à Ilopango, près de San Salvador, 2 000 soldats et policiers ont été déployés pour “débusquer jusqu’au dernier terroriste”, selon les mots du président.
Cette démonstration de force a transformé le quotidien. Les habitants peuvent désormais vaquer à leurs occupations sans craindre une balle perdue. Pourtant, Carlos, un laveur de voitures de 48 ans, met en garde :
“Il ne faut pas baisser la garde. Il reste des résidus de gangs cachés dans les collines.”
Carlos, 48 ans, habitant du quartier
Sa prudence est partagée par beaucoup. Les gangs, bien que désorganisés, n’ont pas disparu. Ils se terrent, attendant peut-être une opportunité pour reprendre leurs activités. Cette menace latente maintient les habitants dans un état de vigilance constante.
Le Coût Humain de la Répression
Si la guerre de Bukele a réduit la violence, elle a un revers sombre. Les Organisations de défense des droits humains, comme Amnesty International, dénoncent des abus graves sous l’État d’urgence. Arrestations arbitraires, actes de torture et décès en détention – environ 400 prisonniers auraient perdu la vie – entachent le bilan du président. Des milliers d’innocents auraient également été incarcérés, pris dans les filets d’une répression brutale.
Dans le quartier 10 de Octubre, ces critiques restent un sujet tabou. Les habitants, encore marqués par des années de silence forcé, évitent de parler des dérives du régime. La peur de représailles, qu’elles viennent des gangs ou des autorités, reste ancrée.
Aspect | Impact |
---|---|
Réduction des homicides | Drastique, Salvador considéré comme “pays le plus sûr” |
Arrestations | 87 000 personnes, souvent sans mandat |
Abus signalés | Torture, décès en détention, arrestations arbitraires |
Un Équilibre Précaire
La stratégie de Bukele a incontestablement redonné espoir à des milliers de Salvadoriens. Les rues, autrefois désertes, s’animent. Les enfants jouent, les commerces reprennent vie. Mais cet équilibre reste précaire. Les gangs, bien que contenus, pourraient se réorganiser, comme le souligne José Miguel Cruz, spécialiste des maras :
“Les gangs sont actuellement contenus, mais ils pourraient se réactiver.”
José Miguel Cruz, professeur à l’Université internationale de Floride
Pour beaucoup, la paix actuelle repose sur la présence militaire et la poigne de fer de Bukele. Mais que se passera-t-il si cette pression faiblit ? Les habitants, comme Antonia, 67 ans, vivent dans l’incertitude :
“Certains rôdent encore par ici, mais je n’ai nulle part où aller.”
Antonia, 67 ans, résidente
Antonia a failli perdre sa maison, menacée par les gangs. Aujourd’hui, elle s’accroche à son petit logement, symbole d’une résistance silencieuse face à un passé oppressant.
Vers un Avenir Incertain
Le Salvador se trouve à un carrefour. La politique de Bukele a redonné une sécurité relative, mais elle soulève des questions cruciales. Peut-on construire une paix durable sur des méthodes autoritaires ? Les abus dénoncés par les ONG risquent-ils de fragiliser la confiance des citoyens ? Et surtout, que se passera-t-il si les gangs, tapis dans l’ombre, retrouvent leur force ?
Pour les habitants du 10 de Octubre, l’avenir reste flou. La peur, bien que moins oppressante, n’a pas disparu. Chaque jour, ils oscillent entre l’espoir d’une vie normale et la crainte d’un retour en arrière. Les fresques colorées qui ornent désormais les murs ne suffisent pas à effacer les souvenirs d’un passé violent. La vigilance reste de mise, car, comme le murmurent les habitants, les gangs sont “cachés, mais toujours là”.
Points clés à retenir :
- La guerre de Bukele a réduit les homicides, mais les gangs restent une menace.
- L’État d’urgence a permis 87 000 arrestations, mais les abus sont dénoncés.
- Les habitants vivent dans un équilibre fragile entre paix et vigilance.
Le Salvador, avec son passé marqué par une guerre civile dans les années 1980 et des décennies de violence des gangs, aspire à un avenir plus stable. Mais pour y parvenir, il faudra plus qu’une répression musclée : une société apaisée ne peut se construire sans justice et respect des droits humains. Dans les ruelles du 10 de Octubre, les habitants attendent, espèrent, mais n’oublient pas.