En 2011, un homme au parcours singulier prend les rênes de la Côte d’Ivoire, un pays encore marqué par une décennie de crise. Alassane Ouattara, économiste de formation, ancien haut fonctionnaire international, devient président après une élection contestée et des violences qui ont secoué la nation. Aujourd’hui, à près de 84 ans, il reste une figure centrale, désigné par son parti pour briguer un quatrième mandat en 2025. Mais qui est cet homme, à la fois adulé et critiqué, qui semble dicter le tempo politique ivoirien ?
Un parcours hors du commun
Né en 1942 à Dimbokro, au cœur de la Côte d’Ivoire, Alassane Ouattara grandit dans un environnement marqué par la diversité. Musulman d’ethnie malinké, il passe une partie de son enfance au Burkina Faso voisin, un détail qui alimentera plus tard des controverses sur sa nationalité. Sa trajectoire scolaire le mène vers des études économiques, couronnées par un doctorat aux États-Unis. Cette formation le propulse vers une carrière internationale prestigieuse.
Ouattara gravit les échelons au sein du Fonds monétaire international (FMI), où il occupe des postes de haut rang, avant de diriger la Banque centrale des États d’Afrique de l’Ouest (BCEAO). En 1990, il revient en Côte d’Ivoire, appelé par Félix Houphouët-Boigny, le père de l’indépendance, pour occuper le poste de Premier ministre. Ce retour marque son entrée dans l’arène politique nationale, mais aussi le début d’une longue quête du pouvoir.
Les années de crise : une nation divisée
À la mort d’Houphouët-Boigny en 1993, la Côte d’Ivoire plonge dans l’incertitude. Ouattara, alors pressenti pour jouer un rôle majeur, voit sa nationalité remise en question par les tenants de l’ivoirité, un concept xénophobe qui exclut les Ivoiriens du Nord, souvent perçus comme étrangers. En 2000, sa candidature à la présidentielle est rejetée pour « nationalité douteuse », l’écartant du pouvoir.
« L’ivoirité a fracturé la nation, en opposant Nord et Sud, musulmans et chrétiens. »
Un analyste politique ivoirien
En 2002, une rébellion éclate, divisant le pays en deux : le Nord, soutenu par les partisans d’Ouattara, face au Sud, contrôlé par le président Laurent Gbagbo. Cette fracture culmine lors de l’élection de 2010. Cette fois, Ouattara est autorisé à se présenter et remporte le scrutin, mais Gbagbo conteste les résultats. Le pays s’enfonce dans une crise post-électorale sanglante, faisant plus de 3 000 morts. L’arrestation de Gbagbo en 2011, avec le soutien de forces internationales, permet à Ouattara d’accéder enfin à la présidence.
Un bilan économique impressionnant, mais contrasté
Une fois au pouvoir, Ouattara s’appuie sur son expertise d’économiste pour relancer la Côte d’Ivoire. Le pays, premier producteur mondial de cacao, attire rapidement les investisseurs. Sous sa présidence, la croissance économique dépasse souvent 7 % par an, un exploit dans une région souvent instable. Routes, ponts, électrification rurale, stades modernes : les infrastructures transforment le paysage ivoirien.
Les réussites économiques en chiffres
- Croissance annuelle : environ 7 % depuis 2011
- Production de cacao : 40 % du marché mondial
- Endettement : environ 60 % du PIB
Cependant, ce tableau flatteur cache des failles. Les inégalités sociales persistent, et la corruption reste un fléau. Les critiques pointent un endettement élevé et des lacunes dans les secteurs clés comme l’éducation et la santé. Pour beaucoup d’Ivoiriens, les bénéfices de la croissance restent abstraits, loin de leur quotidien.
Une main de fer sur la scène politique
Sur le plan politique, Ouattara gouverne d’une main ferme. Les manifestations d’opposition sont rarement tolérées, et les principaux leaders rivaux, comme Laurent Gbagbo, sont exclus des élections par des décisions judiciaires. En 2020, après avoir promis de passer la main, Ouattara se représente suite au décès de son dauphin, Amadou Gon Coulibaly. Sa réélection, avec 94 % des voix, est entachée de violences qui font 86 morts.
« Si on ne laisse pas aux autres la capacité de se battre pour être au pouvoir, ce n’est plus la démocratie. »
Laurent Gbagbo
Les détracteurs d’Ouattara l’accusent de dérives autoritaires, notamment en manipulant la Constitution pour briguer un troisième mandat. Pourtant, ses partisans le défendent, le « leader naturel » d’une majorité unie, capable de stabiliser un pays autrefois à la dérive.
Réconciliation : des avancées fragiles
La réconciliation nationale reste un chantier inachevé. En 2021, Laurent Gbagbo, acquitté par la justice internationale, rentre en Côte d’Ivoire et bénéficie d’une grâce présidentielle. Ce geste, perçu comme un pas vers l’apaisement, ne suffit pas à panser toutes les blessures de la crise de 2010-2010-2011. Peu de partisans d’Ouattara ont été jugés pour les crimes de cette période, alimentant un sentiment d’impunité.
Sur le plan symbolique, l’organisation réussie de la Coupe d’Afrique des Nations (CAN) en janvier 2024 a permis de renforcer l’unité nationale. La victoire des Éléphants, l’équipe ivoirienne, a suscité un élan de fierté collective, temporairement au-delà des clivages politiques.
Un acteur clé dans une région instable
À l’international, Ouattara s’est imposé comme un interlocuteur incontournable en Afrique de l’Ouest. Son expérience et ses relations avec la communauté internationale lui confèrent une stature régionale. Cependant, la dégradation de la sécurité au Sahel pose de nouveaux défis. La Côte d’Ivoire doit composer avec des voisins dirigés par des juntes militaires hostiles, comme le Burkina Faso, et contenir la menace jihadiste à ses frontières.
Instabilité au Sahel | Juntes militaires hostiles | Menace jihadiste |
Un proche du président résume : « L’Afrique a peu de dirigeants comme Ouattara, avec son expérience et sa sérénité. » Pourtant, cette aura internationale contraste avec les critiques internes, où son emprise sur le pouvoir alimente les tensions.
Vers un quatrième mandat ?
À l’approche de l’élection présidentielle de 2025, Ouattara se positionne comme le favori, en l’absence des principaux opposants. Son parti le présente comme le seul capable de garantir la stabilité, mais cette domination soulève des interrogations sur l’avenir de la démocratie ivoirienne. Aura-t-il un successeur ? Ouattara évoque une « demi-douzaine » de candidats potentiels, mais pour l’instant, il reste au centre du jeu.
Le parcours d’Alassane Ouattara, de l’éducation à la présidence, est celui d’un homme qui a sué naviguer dans des eaux troubles pour s’imposer comme une figure incontournable. Mais à quel prix pour la Côte d’Ivoire ? Entre progrès économiques, défis sécuritaires et critiques autoritaires, son héritage reste à écrire.
Points clés à retenir
- président depuis 2011, Ouattara domine la politique ivoirienne.
- Économie : forte croissance, mais inégalités persistantes.
- Réconciliation : avancées fragiles après la crise de 2010-2011.
- International : rôle clé dans une région instable.
Alassane Ouattara incarne à la fois l’espoir d’une Côte d’Ivoire moderne et les limites d’un pouvoir trop concentré. Alors que 2025 approche, une question demeure : jusqu’à quand cet homme, qui a transformé le destin de son pays, continuera-t-il à en tenir les rênes ?