Imaginez un instant : un président en guerre qui traverse l’Europe pour atterrir dans l’un des rares pays du continent à n’avoir jamais rejoint l’OTAN. C’est exactement ce qui se passe ce mardi en Irlande. Volodymyr Zelensky y effectue sa toute première visite officielle, un peu plus de trois ans après le début de l’invasion russe. Et le timing ne doit rien au hasard.
Une première historique sur l’île d’Émeraude
Le président ukrainien est attendu lundi soir à Dublin après un passage éclair à Paris auprès d’Emmanuel Macron. Au programme : vingt-quatre heures intensives de rencontres au sommet avec le Taoiseach Micheál Martin, le vice-Premier ministre Simon Harris et même une visite de courtoisie à la nouvelle présidente Catherine Connolly, dont le rôle reste largement protocolaire.
Micheál Martin ne cache pas son enthousiasme : « J’ai rencontré le président Zelensky à de nombreuses reprises, notamment à Kiev, mais j’attends avec impatience de l’accueillir lors de cette première visite officielle d’un président ukrainien en Irlande. » Une phrase qui résume à elle seule l’importance symbolique du moment.
L’Irlande, neutre mais pas indifférente
Depuis 2022, l’Irlande a surpris plus d’un observateur. Pays historiquement attaché à sa neutralité militaire, elle n’en a pas moins apporté un soutien politique sans faille à l’Ukraine. Dublin a accueilli des dizaines de milliers de réfugiés ukrainiens, voté toutes les sanctions européennes contre Moscou et participé financièrement à plusieurs programmes d’aide.
Pourtant, l’armée de seulement 8 500 soldats et concentrée sur les missions de maintien de la paix de l’ONU, l’Irlande reste à l’écart de l’OTAN. Un partenariat existe avec l’Alliance atlantique, mais pas d’adhésion. Cette position singulière fait de « neutralité active » est régulièrement remise en question depuis le retour de la guerre sur le continent européen.
« J’ai hâte de réitérer l’engagement indéfectible de l’Irlande à soutenir le peuple ukrainien aussi longtemps que nécessaire »
Micheál Martin, Taoiseach
L’Europe, grande absente des négociations actuelles ?
Le calendrier de cette visite interpelle. Pendant que Zelensky rencontre les dirigeants irlandais, des discussions cruciales se tiennent outre-Atlantique. Dimanche, en Floride, le secrétaire d’État américain Marco Rubio, l’émissaire spécial Steve Witkoff et même le gendre de Donald Trump, Jared Kushner, ont reçu la délégation ukrainienne.
Objectif affiché : avancer sur un plan de paix négocié directement entre Washington, Kiev et Moscou. Les Européens, eux, brillent par leur absence à la table des discussions. Les échanges ont été qualifiés de « productifs » mais aussi de « pas faciles ». Steve Witkoff, souvent présenté comme très proche du Kremlin, doit d’ailleurs repartir mardi pour Moscou afin de rencontrer Vladimir Poutine.
Ce ballet diplomatique parallèle laisse un goût amer à certains chancelleries européennes. L’Irlande, qui prendra la présidence tournante de l’UE au second semestre 2026, se retrouve malgré elle en première ligne pour rappeler que l’Europe entend peser dans le règlement du conflit.
Accélérer l’adhésion ukrainienne à l’Union européenne
L’un des moments forts de la visite sera sans doute la discussion sur l’avenir européen de l’Ukraine. Dublin soutient officiellement la candidature de Kiev depuis le premier jour. Micheál Martin l’a redit clairement : il souhaite que l’Irlande contribue activement à « accélérer la progression de l’Ukraine vers une adhésion à l’UE ».
Concrètement, cela passe par un accompagnement renforcé dans les réformes, l’alignement législatif et le soutien politique face aux réticences de certains États membres. L’Irlande connaît bien le parcours : elle-même a rejoint la Communauté économique européenne en 1973 et en a tiré une transformation économique spectaculaire.
Le message est clair : même un petit pays peut jouer un rôle décisif quand il s’agit de défendre les valeurs européennes face à l’agression.
Un forum économique pour sceller les liens
Au-delà de la géopolitique pure, la visite aura aussi une dimension économique. Volodymyr Zelensky doit inaugurer un forum Irlande-Ukraine destiné à développer les échanges commerciaux bilatéraux. Reconstruction, énergie, technologies, agroalimentaire : les secteurs ne manquent pas.
L’Irlande, souvent surnommée le « Tigre celtique » pour sa croissance fulgurante dans les années 1990-2000, pourrait devenir un partenaire privilégié dans la phase de reconstruction post-conflit. Des entreprises irlandaises sont déjà présentes en Ukraine, notamment dans les domaines pharmaceutique et informatique.
À retenir de cette visite de 24 heures :
- Première visite officielle d’un président ukrainien en Irlande
- Rencontres avec le Taoiseach, le vice-Premier ministre et la présidente
- Soutien réaffirmé « aussi longtemps que nécessaire »
- Discussion sur l’accélération de l’adhésion ukrainienne à l’UE
- Inauguration d’un forum économique bilatéral
Un symbole fort à l’heure où l’Europe cherche sa voix
En recevant Volodymyr Zelensky, l’Irlande envoie un message double. D’abord à son propre peuple : la neutralité n’empêche pas la solidarité active. Ensuite à ses partenaires européens : même les plus petits États peuvent porter haut les couleurs de l’Union quand il s’agit de défendre la démocratie et le droit international.
Dans un contexte où les États-Unis semblent vouloir imposer leur tempo diplomatique, cette visite rappelle que l’Europe possède encore des cartes à jouer. Et que l’Irlande, malgré sa taille modeste, entend bien les utiliser.
Restera à voir, dans les prochaines semaines, si ces vingt-quatre heures à Dublin auront permis de poser les bases d’une coordination européenne plus forte… ou si elles n’auront été qu’une parenthèse symbolique dans un processus de paix qui se décide finalement loin des capitales du Vieux Continent.
Une chose est sûre : rarement une visite d’État aussi courte n’aura porté autant d’enjeux.









