Un ancien général reconverti en faucon politique, stratège des guerres totales contre le Hamas à Gaza et le Hezbollah au Liban, devenu trop remuant pour son Premier ministre en plaidant pour la conscription des juifs ultra-orthodoxes… Le parcours de Yoav Gallant, l’ex-ministre israélien de la Défense limogé mardi par Benjamin Netanyahu, résonne comme une parabole des tensions qui traversent la société israélienne.
L’homme des offensives massives
Âgé de 65 ans, cet ancien général passé en politique aura été le principal artisan de la réponse d’une rare brutalité opposée par Israël aux attaques lancées depuis Gaza par le Hamas le 7 octobre 2023. Dès le 9 octobre, le ministre ordonnait un “siège complet” de l’enclave palestinienne surpeuplée, la privant d’électricité, de nourriture, d’eau et de gaz, tandis que l’aviation pilonnait le territoire.
Fin septembre, il récidivait au Liban contre le Hezbollah après l’ouverture par le mouvement chiite d’un second front anti-israélien. Bien décidé à permettre le retour chez eux des quelque 60 000 habitants du nord d’Israël déplacés par les tirs de roquette, Yoav Gallant jugeait que “seule l’action militaire” pouvait “garantir” ce retour. Israël lançait alors des frappes massives dans le sud du pays du Cèdre, avant une incursion terrestre contre les fiefs du Hezbollah. Point d’orgue de cette escalade : l’élimination du chef du mouvement, Hassan Nasrallah, dans un bombardement dévastateur sur Beyrouth le 27 septembre.
Bûcheron en Alaska
Né en 1958 à Jaffa de parents juifs polonais rescapés de la Shoah, Yoav Gallant a d’abord mené une longue carrière militaire, devenant général en 2002. Officier des commandos de marine, il participe notamment en 1978 à une opération meurtrière contre des combattants palestiniens au Liban. De 1982 à 1984, il met entre parenthèses sa carrière pour devenir… bûcheron en Alaska. Mais c’est à Gaza qu’il laisse son empreinte, en supervisant le retrait israélien de ce territoire palestinien en 2005, puis en dirigeant fin 2008-début 2009 l’opération “Plomb durci”, qui fera 1 400 morts côté palestinien, non sans soupçons de “crimes de guerre” dénoncés par l’ONU.
Un pro-colonies devenu encombrant
Entré en politique en 2015 dans le parti de centre-droit Koulanou, Yoav Gallant devient un pilier des gouvernements Netanyahu, occupant les postes de ministre de la Construction, de l’Immigration puis de l’Éducation. Farouche partisan de la colonisation, il aura soutenu l’extension des implantations israéliennes en Cisjordanie occupée, qui abritent désormais près d’un demi-million de colons.
Mais dans le difficile contexte de guerre sur deux fronts, les relations avec “Bibi” se sont dégradées. Le ministre prônait des “concessions douloureuses” pour libérer la centaine d’Israéliens encore aux mains du Hamas, jugeant que tout ne pouvait “s’obtenir uniquement par des opérations militaires”, une position susceptible de faire passer le Premier ministre pour un jusqu’au-boutiste indifférent au sort des otages.
Mais c’est surtout la décision de Gallant d’appeler sous les drapeaux 10 000 hommes de la communauté ultra-orthodoxe, dont une partie est traditionnellement exemptée de service militaire, qui aura mis le feu aux poudres. Une mesure jugée indispensable par l’armée pour soulager des réservistes épuisés, mais qui a déclenché la colère des partis ultra-orthodoxes, alliés clés du gouvernement Netanyahu. Un camouflet de trop pour ce faucon devenu trop remuant aux yeux de “Bibi”.
Le limogeage de Yoav Gallant apparaît comme le dernier rebondissement en date d’une séquence politique mouvementée en Israël, sur fond de contestation persistante du projet de réforme judiciaire porté par le gouvernement. Il met en lumière les lignes de fracture d’une société israélienne écartelée entre faucons et colombes, laïcs et religieux, “va-t-en-guerre” et partisans de la négociation. Une nouvelle illustration, s’il en fallait, de la difficulté à gouverner une nation qui, plus que jamais, semble avancer sur le fil du rasoir.