Imaginez un pays déjà déchiré par plus d’une décennie de guerre, où les alliances les plus solides commencent à se fissurer de l’intérieur. Au Yémen, une nouvelle crise couve à l’est, loin des regards habituels braqués sur la capitale ou les fronts du nord. Les forces séparatistes du sud viennent de poser un ultimatum clair : elles ne renonceront pas aux territoires récemment conquis. Cette position inflexible pourrait bien redistribuer toutes les cartes dans un conflit aux ramifications régionales explosives.
Une escalade inattendue dans l’est du Yémen
La semaine dernière, le Conseil de transition du Sud, connu sous son acronyme STC, a lancé une offensive éclair dans les provinces orientales. Des zones jusque-là sous contrôle de troupes gouvernementales sont passées sous son autorité. Ce qui frappe, c’est que le STC fait pourtant partie intégrante de la coalition soutenant le gouvernement reconnu internationalement. Cette prise de pouvoir interne soulève des questions profondes sur l’unité de ce camp face aux rebelles houthis.
Les territoires concernés ne sont pas anodins. La région pétrolière d’Hadramout, riche en ressources, et la province de Mahra, frontalière avec Oman, représentent des enjeux stratégiques majeurs. Contrôler ces espaces, c’est influencer à la fois l’économie du pays et les routes de contrebande qui alimentent les belligérants.
Les négociations sous haute tension
Face à cette avancée rapide, une délégation composée de responsables militaires saoudiens et émiratis s’est déplacée en urgence. Leur mission : convaincre les leaders du STC de se retirer des provinces d’Hadramout et de Mahra. Vendredi soir, les discussions ont été directes et fermes. Une proposition de retrait a été mise sur la table, mais elle a été rejetée sans ambiguïté par les séparatistes.
Une source proche du Conseil de transition du Sud a confirmé que les échanges se poursuivent, mais que la position reste inchangée. Ce refus catégorique met en lumière les divergences profondes au sein même de la coalition anti-houthis. Les Saoudiens et les Émiratis, principaux soutiens extérieurs du gouvernement yéménite, se retrouvent aujourd’hui face à un allié qui défie ouvertement leurs injonctions.
Ce bras de fer diplomatique n’est pas seulement une question de territoires. Il révèle des visions différentes de l’avenir du Yémen. D’un côté, l’idée d’un État unifié sous l’égide du gouvernement reconnu. De l’autre, une aspiration plus ou moins assumée à une autonomie renforcée, voire à une indépendance du sud.
Les justifications avancées par le STC
Les séparatistes ne présentent pas leur offensive comme une simple conquête territoriale. Ils affirment avoir agi pour des raisons de sécurité et de gouvernance. Selon eux, les troupes qu’ils ont délogées appartenaient à une division de l’armée infiltrée par des éléments islamistes. Cette accusation, récurrente dans le discours du STC, sert à légitimer leur intervention.
Au-delà de cette dimension sécuritaire, le Conseil met en avant la lutte contre la contrebande. Les zones conquises, en particulier Mahra, sont décrites comme des couloirs privilégiés utilisés par les rebelles houthis pour faire transiter armes et ressources. En prenant le contrôle, le STC dit vouloir couper ces voies d’approvisionnement qui prolongent le conflit depuis des années.
« Nous avons chassé des forces compromises et mis fin à des pratiques qui alimentent nos adversaires »
Cette rhétorique, bien que pratique pour justifier l’action, cache des ambitions plus vastes. Le STC contrôle désormais l’ensemble de la région pétrolière d’Hadramout et étend son influence jusqu’aux portes d’Oman. Ces gains consolident une emprise territoriale qui rappelle les contours de l’ancien Yémen du Sud, indépendant entre 1967 et 1990.
Un pays fracturé par des lignes de fracture anciennes
Pour comprendre l’ampleur de la crise actuelle, il faut remonter à la structure même du Yémen contemporain. Depuis 2014, le pays est divisé en deux grandes zones d’influence. Au nord et à l’ouest, les rebelles houthis, soutenus par l’Iran, dominent Sanaa et de vastes territoires. Au sud, le gouvernement internationalement reconnu tente de maintenir une autorité fragile, installé provisoirement à Aden.
Cette division nord-sud n’est pas nouvelle. Avant l’unification de 1990, le Yémen était séparé en deux États distincts. Le sud, marxiste à l’époque, garde dans sa mémoire collective le souvenir d’une indépendance perdue. Le STC, créé en 2017 avec le soutien décisif des Émirats arabes unis, porte aujourd’hui cette aspiration sécessionniste.
Les relations entre le gouvernement central et le Conseil de transition du Sud ont toujours été complexes. Alliés de circonstance contre les houthis, ils divergent sur la forme que doit prendre l’État yéménite post-conflit. Les événements récents dans l’est du pays cristallisent ces tensions latentes.
Les risques d’une coalition en péril
L’offensive du STC et son refus de reculer suscitent de vives inquiétudes. Un affrontement ouvert au sein même du camp gouvernemental affaiblirait durablement la lutte contre les rebelles houthis. Déjà fragilisée par des années de guerre, la coalition risque de se disloquer sous le poids de ces divergences internes.
Plus grave encore, cette crise ravive le spectre d’une sécession définitive. Le sud du Yémen, avec ses ressources pétrolières et ses ports stratégiques, dispose des moyens de envisager une autonomie réelle. Si le STC consolide ses gains à l’est, il pourrait contrôler une large partie du territoire méridional, rendant toute réunification extrêmement difficile.
Les puissances régionales observent la situation avec attention. L’Arabie saoudite, qui mène la coalition depuis 2015, voit ses efforts compromis par un allié devenu incontrôlable. Les Émirats, parrains historiques du STC, se retrouvent dans une position délicate, tiraillés entre leur soutien aux séparatistes et la nécessité de préserver l’unité de la coalition.
Des enjeux régionaux au cœur du conflit
Le Yémen n’est pas seulement un théâtre de guerre civile. Il est devenu l’un des principaux champs de bataille par procuration entre l’Arabie saoudite et l’Iran. Les houthis, accusés de recevoir un soutien logistique et militaire de Téhéran, représentent une menace directe pour Riyad. Toute division supplémentaire dans le camp adverse profiterait inévitablement à ces rebelles.
La province de Mahra, avec sa longue frontière avec Oman, joue un rôle particulier. Voie traditionnelle de contrebande, elle permet aux houthis de contourner les blocus. En la contrôlant, le STC affirme couper ces approvisionnements. Mais cette justification cache aussi un intérêt géostratégique évident : sécuriser une frontière et influencer les flux régionaux.
Les discussions en cours entre le STC et les émissaires saoudiens et émiratis seront déterminantes. Un compromis reste possible, mais chaque jour qui passe renforce la position des séparatistes sur le terrain. Leur refus initial de se retirer montre une confiance nouvelle, nourrie par des années de consolidation militaire et politique.
Vers une nouvelle configuration territoriale ?
À court terme, l’évolution de cette crise dépendra de la capacité des acteurs régionaux à trouver un terrain d’entente. Les Saoudiens et les Émiratis disposent de leviers importants, mais leur influence sur le STC semble s’éroder. Une médiation plus large, impliquant d’autres pays du Golfe ou des acteurs internationaux, pourrait devenir nécessaire.
À plus long terme, cet épisode interroge l’avenir même du Yémen unifié. Les aspirations autonomistes du sud ne datent pas d’aujourd’hui. Elles puisent dans une histoire, une identité et des griefs accumulés depuis l’unification. Les gains territoriaux actuels du STC pourraient constituer les fondations d’un État du sud renaissant.
Dans un pays épuisé par la guerre, la famine et les épidémies, cette nouvelle fracture interne ajoute une couche de complexité dramatique. Les populations civiles, déjà parmi les plus vulnérables au monde, risquent de payer le prix le plus lourd d’une éventuelle escalation. L’espoir d’une paix durable s’éloigne un peu plus à chaque refus de compromis.
Le Yémen continue de nous rappeler que les conflits les plus longs sont souvent ceux où les lignes de front se multiplient à l’intérieur même des camps. La fermeté des séparatistes du sud face à leurs propres alliés en est la preuve la plus récente. L’issue de cette crise pourrait redessiner durablement la carte d’un pays au bord de l’implosion.
La situation évolue rapidement dans l’est du Yémen. Ce refus de retrait marque un tournant potentiel dans un conflit où chaque avancée territoriale modifie profondément les équilibres de pouvoir.
Suivre ces développements, c’est comprendre que la guerre au Yémen ne se résume pas à un affrontement binaire. Elle est faite de couches successives d’alliances fragiles, de rivalités internes et d’ambitions régionales. Aujourd’hui, le Conseil de transition du Sud impose sa vision avec une détermination qui défie les pressions les plus directes.
Le monde observe, conscient que l’issue de cette confrontation interne aura des répercussions bien au-delà des frontières yéménites. Entre unité forcée et sécession assumée, le destin d’un pays suspendu à un fil continue de se jouer dans le secret des négociations et la poussière des déserts orientaux.









