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Yémen : L’ONU Condamne les Procès Houthis d’Otages Humanitaires

59 employés yéménites de l'ONU sont toujours détenus sans contact extérieur par les Houthis. Cette semaine, plusieurs d'entre eux viennent d'être renvoyés devant un tribunal spécial pour « espionnage ». L'ONU parle de violation grave des droits humains et exige leur libération immédiate. Mais que va-t-il vraiment se passer ?

Imaginez travailler pour sauver des vies dans l’un des pires crises humanitaires au monde, et vous retrouver du jour au lendemain accusé d’espionnage, jeté en prison sans pouvoir parler à quiconque, puis traîné devant un tribunal dont les sentences peuvent aller jusqu’à la peine de mort.

C’est exactement ce que vivent aujourd’hui des dizaines d’employés yéménites des Nations Unies.

L’ONU hausse le ton face à une décision « inacceptable »

Mardi, le secrétaire général des Nations Unies, Antonio Guterres, a franchi un cap rarement atteint dans ses communiqués sur le Yémen : il a ouvertement condamné le renvoi de plusieurs de ses employés devant le tribunal criminel spécial contrôlé par les Houthis.

À travers la voix de son porte-parole Stéphane Dujarric, l’organisation mondiale a qualifié cette décision de profondément préoccupante et exigé l’annulation immédiate de la procédure ainsi que la libération sans condition de tout le personnel détenu.

« Nous appelons les autorités de facto à annuler ce renvoi et à travailler en toute bonne foi pour la libération immédiate de tous les employés de l’ONU, d’ONG et de la communauté diplomatique »

Stéphane Dujarric, porte-parole d’Antonio Guterres

59 employés toujours dans l’ombre

Le chiffre est glaçant : 59 employés de l’ONU, tous de nationalité yéménite, croupissent actuellement dans des prisons houthies. Certains sont détenus depuis plusieurs années.

Ils n’ont aucun contact avec l’extérieur. Ni famille, ni avocats, ni même leurs collègues onusiens. Un blackout total qui dure parfois depuis 2021 ou 2022 selon les vagues d’arrestations.

Ces personnes sont pourtant des humanitaires locaux : coordinateurs de programmes alimentaires, logisticiens, personnel médical ou administratif qui permettent à l’aide internationale d’atteindre des millions de Yéménites en détresse.

Des accusations d’espionnage systématiquement rejetées

Les autorités houthies justifient ces détentions par des soupçons d’espionnage au profit des États-Unis et d’Israël. Des accusations que l’ONU balaie d’un revers de main.

Le Haut-Commissariat aux droits de l’Homme, dirigé par Volker Türk, a été encore plus direct : il a dénoncé des « accusations mensongères » et qualifié la comparution d’un de ses collègues de « totalement inacceptable ».

« C’est une violation grave des droits humains »

Volker Türk, Haut-Commissaire de l’ONU aux droits de l’Homme

L’ONU rappelle que le personnel onusien bénéficie d’une immunité fonctionnelle : il ne peut être poursuivi pour des actes accomplis dans l’exercice de ses missions officielles.

Un tribunal spécial au service de la répression

Le tribunal criminel spécial de Sanaa n’est pas un tribunal comme les autres. Contrôlé directement par les Houthis, il est devenu ces dernières années un outil central de répression politique.

Journalistes, militants des droits humains, membres d’ONG, opposants politiques, minorités religieuses… Tous passent régulièrement devant cette instance dont les verdicts sont rarement cléments.

En novembre dernier, ce même tribunal a prononcé 17 condamnations à mort pour espionnage au profit d’Israël, des États-Unis et de l’Arabie saoudite. Les identités des condamnés n’ont jamais été rendues publiques par les canaux officiels houthies.

Pourquoi cibler spécifiquement le personnel local ?

Les employés internationaux ont généralement été évacués ou protégés par leur statut diplomatique. Les Yéménites recrutés localement, eux, sont restés en première ligne.

Ils connaissent parfaitement le terrain, parlent les dialectes, comprennent les codes tribaux. Ils sont indispensables. Et c’est précisément cette connaissance qui semble inquiéter les autorités de facto.

En les accusant d’espionnage, les Houthis envoient aussi un message clair à l’ensemble de la population : collaborer avec les organisations internationales peut coûter très cher.

Une crise humanitaire déjà catastrophique

Le Yémen reste l’une des pires catastrophes humanitaires au monde. Plus de 21 millions de personnes – soit les deux tiers de la population – ont besoin d’une assistance.

Les arrestations massives de personnel humanitaire local fragilisent encore davantage les chaînes d’approvisionnement en nourriture, médicaments et eau potable dans les zones sous contrôle houthi.

Chaque employé détenu, c’est potentiellement des milliers de bénéficiaires qui se retrouvent sans suivi.

Vers une escalade ou une désescalade ?

La condamnation publique et sans détour d’Antonio Guterres marque un tournant. L’ONU, habituellement prudente dans ses déclarations pour préserver ses canaux de négociation, semble à bout de patience.

Mais les Houthis ont déjà montré par le passé qu’ils pouvaient ignorer les appels internationaux lorsqu’ils touchent à leur souveraineté perçue ou à leur appareil sécuritaire.

La communauté internationale dispose de peu de leviers directs. Les sanctions individuelles existent, mais leur impact reste limité sur le terrain.

Reste la pression diplomatique, notamment via les pays ayant une influence sur les Houthis – l’Iran en tête – et les négociations en cours sur un cessez-le-feu global.

Ce que cela nous dit du conflit yéménite en 2025

Dix ans après le début de leur offensive sur Sanaa, les Houthis contrôlent toujours la capitale et les régions les plus peuplées du pays.

Ils ont survécu à une coalition militaire menée par l’Arabie saoudite, développé leur arsenal de missiles et de drones, et imposé leur autorité sur un territoire grand comme la France.

Cette affaire des détenus de l’ONU montre que, malgré la trêve relative observée sur le front militaire, la répression interne, elle, ne faiblit pas.

Au contraire, elle semble s’intensifier à mesure que les Houthis consolident leur pouvoir et cherchent à neutraliser toute voix dissidente ou toute structure échappant à leur contrôle total.

Dans ce contexte, la sécurité du personnel humanitaire – et en particulier des employés locaux qui prennent tous les risques – devient une question de survie pour l’aide internationale au Yémen.

Et pour l’instant, l’issue reste désespérément incertaine.

Les prochains jours diront si cette condamnation publique de l’ONU aura le moindre effet ou si, au contraire, elle entraînera une nouvelle vague de tensions.

Une chose est sûre : 59 familles yéménites attendent toujours le retour de leurs proches qui n’ont commis d’autre crime que de vouloir aider leur pays.

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