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Yémen : Les Séparatistes du Sud Fragilisent le Camp Anti-Houthis

Le sud du Yémen vient de basculer en quelques jours sous le contrôle total des séparatistes du STC. Le gouvernement reconnu internationalement vacille, l’Arabie saoudite s’inquiète et les Houthis observent… Que va-t-il se passer maintenant que le sud proclame contrôler l’ensemble de l’ancien Yémen du Sud ?

Imaginez un pays déjà déchiré par dix ans de guerre civile, où l’on croyait enfin respirer depuis deux ans. Et soudain, en quelques jours seulement, l’un des principaux alliés du gouvernement reconnu s’empare de milliers de kilomètres carrés de territoires stratégiques, sans quasiment tirer un coup de feu. C’est exactement ce qui vient de se produire au Yémen.

Une offensive éclair qui change la donne

La semaine dernière, les forces du Conseil de transition du Sud (STC) ont lancé une opération fulgurante dans l’est du pays. Elles ont pris le contrôle de vastes zones du gouvernorat de Hadramout, le plus grand du Yémen, ainsi qu’une partie du gouvernorat voisin de Mahra. Résultat : elles affirment désormais contrôler l’intégralité de ce qui constituait l’ancien Yémen du Sud avant l’unification de 1990.

Cette avancée n’a pas été le fruit de combats acharnés. Les unités loyalistes présentes sur place se sont retirées ou ont changé d’allégeance sans résistance notable. Un signe qui en dit long sur la faiblesse actuelle du pouvoir central reconnu par la communauté internationale.

Qui se cache derrière le Conseil de transition du Sud ?

Le STC est dirigé par le général Aidarous al-Zoubaïdi, ancien gouverneur d’Aden évincé en 2017. Ce mouvement regroupe les nostalgiques de l’indépendance du Sud, qui a existé sous le nom de République démocratique populaire du Yémen entre 1967 et 1990.

Paradoxalement, le STC fait partie intégrante du Conseil présidentiel créé en 2022 pour diriger le camp anti-houthis. Il siège donc aux côtés des factions soutenues par l’Arabie saoudite, alors même qu’il poursuit son rêve d’un État sudiste indépendant.

« Nous luttons contre la contrebande qui profite aux Houthis et aux groupes terroristes »

Communiqué officiel du STC

Tel est le motif officiellement avancé pour justifier l’opération. En réalité, les territoires conquis abritent d’importants champs pétroliers et s’étendent jusqu’à la frontière saoudienne, offrant ainsi un accès direct aux routes commerciales et aux ressources énergétiques.

Un vieux rêve qui resurgit

Le séparatisme sudiste n’est pas nouveau. Dès 2007, le mouvement Hirak avait commencé à réclamer l’autonomie, puis l’indépendance. La guerre contre les Houthis, déclenchée en 2015, a donné une opportunité inespérée aux sudistes.

Formées et équipées par les Émirats arabes unis, les brigades du STC sont devenues les forces les plus efficaces au sol face aux rebelles chiites. Elles ont libéré Aden en 2015, puis la quasi-totalité du littoral sud. Mais dès 2018, elles affrontaient déjà les troupes gouvernementales dans les rues de la capitale provisoire.

L’accord de Riyad, signé en novembre 2019 sous pression saoudienne, avait forcé les deux camps à cohabiter au sein d’un même gouvernement. Un mariage de raison qui vient de voler en éclats.

Les réactions officielles trahissent la panique

Lundi, le président du Conseil présidentiel, Rashad al-Alimi, a dénoncé avec vigueur les « actions unilatérales » du STC. Il y voit une menace directe contre « l’unité et la stabilité » du pays.

Riyad a immédiatement appelé au retrait des forces sudistes et prôné la désescalade. Abu Dhabi, de son côté, s’est contenté d’une déclaration laconique affirmant soutenir « le processus politique en ligne avec l’Arabie saoudite ». Une position ambiguë qui laisse peu de doutes sur le feu vert donné en coulisses.

Pourquoi cette offensive maintenant ?

Plusieurs éléments convergent.

  • Le STC estime ne pas avoir obtenu la place qui lui revient dans le partage du pouvoir.
  • Les négociations avec les Houthis, menées par l’Arabie saoudite et Oman, avancent et pourraient aboutir à un accord excluant les sudistes.
  • Le contrôle des ressources pétrolières de Hadramout offre une manne financière indispensable à tout projet d’État indépendant.
  • La faiblesse militaire du gouvernement central rend l’opération presque sans risque.

Pour les observateurs, l’opération ressemble à un coup de force destiné à renégocier de position de force l’accord de Riyad, voire à préparer une déclaration unilatérale d’indépendance.

Les risques d’une nouvelle fracture

Le Yémen est déjà coupé en deux : le nord et l’ouest sous contrôle houthi, le sud et l’est sous influence d’une multitude de factions. Cette nouvelle division au sein même du camp anti-houthis pourrait avoir des conséquences dramatiques.

Une sécession du Sud priverait le gouvernement reconnu de ses principales ressources pétrolières et de ses ports. Elle laisserait également l’Arabie saoudite avec un voisin nord entièrement dominé par les Houthis soutenus par l’Iran, exactement le scénario cauchemar que Riyad voulait éviter.

Pour les Émirats, en revanche, un État sudiste ami offrirait un accès privilégié à la mer d’Arabie, aux routes commerciales et aux gisements d’hydrocarbures. Un rêve stratégique caressé depuis longtemps.

Et les Houthis dans tout ça ?

Ils observent, silencieux. La division de leurs adversaires ne peut que les arranger. Certains analystes estiment même que des contacts discrets existent entre le STC et Sanaa, autour d’une possible reconnaissance mutuelle en échange d’une neutralité bienveillante.

L’histoire du Yémen nous a appris une chose : chaque fois qu’un camp croit avoir gagné, le pays plonge un peu plus dans le chaos. Cette fois encore, l’accalmie fragile de ces deux dernières années pourrait n’avoir été qu’une parenthèse.

À retenir : Le sud du Yémen n’a jamais vraiment accepté l’unification de 1990. Aujourd’hui, grâce au soutien émirati et à la faiblesse du pouvoir central, les séparatistes sont à deux doigts de réaliser leur rêve. Reste à savoir si la communauté internationale, l’Arabie saoudite en tête, laissera faire sans réagir.

Le pays le plus pauvre de la péninsule arabique continue de payer le prix de ses divisions. Et pendant ce temps, la population, épuisée par des années de guerre, de blocus et de famine, attend toujours la paix qui ne vient pas.

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