Imaginez un pays déjà ravagé par dix années de guerre civile, où une trêve fragile tient à peine depuis 2022. Et puis, en quelques jours seulement, une partie de vos alliés d’hier s’empare de territoires entiers, sans presque rencontrer de résistance. C’est exactement ce qui vient de se produire au Yémen.
Une avancée fulgurante qui change la donne
Le Conseil de transition du Sud (STC), mouvement séparatiste soutenu par les Émirats arabes unis, a pris le contrôle quasi-total de la province de Hadramawt et de zones limitrophes. Des régions stratégiques, riches en pétrole, qui correspondent presque exactement aux anciennes frontières du Yémen du Sud, disparu en 1990.
Ce qui frappe, c’est la rapidité et l’absence de combats majeurs. Quelques postes de contrôle abandonnés, des responsables locaux qui rallient le mouvement, et voilà des milliers de kilomètres carrés qui changent de mains.
Rashad al-Alimi sonne l’alarme
Le président du Conseil de leadership présidentiel, Rashad al-Alimi, qui dirige le gouvernement internationalement reconnu, n’a pas mâché ses mots. Dans un communiqué officiel, il a qualifié ces actions unilatérales de « menace directe pour l’unité et la stabilité » du pays.
« Ces agissements sapent l’autorité du gouvernement légitime et compromettent l’avenir du processus politique. »
Rashad al-Alimi, président du Conseil de leadership
Il a immédiatement convoqué des diplomates étrangers à Riyad pour leur exposer la gravité de la situation. Un signal clair : sans réaction internationale rapide, le fragile équilibre yéménite pourrait basculer définitivement.
Le STC revendique une « sécurisation nécessaire »
Du côté du Conseil de transition du Sud, on présente l’opération sous un jour totalement différent. Amr Al Bidh, proche du leader Aidarus al-Zubaidi, a affirmé que le STC contrôle désormais « militairement et sécuritairement » l’ensemble des gouvernorats du Sud.
Pour justifier cette prise de pouvoir, deux arguments principaux sont avancés :
- La lutte contre les filières de contrebande qui profitent aux Houthis
- La nécessité de contrer la présence d’Al-Qaïda dans la péninsule arabique (AQPA)
Des objectifs officiellement partagés par la coalition… mais qui servent aujourd’hui de prétexte à une indépendance de fait.
Un gouvernement en patchwork au bord de l’implosion
Il faut comprendre la complexité du pouvoir yéménite reconnu internationalement. Depuis 2015, il repose sur une alliance improbable de huit factions différentes, unies uniquement par leur opposition aux Houthis. Le STC en fait partie… tout en poursuivant son rêve d’un État sudiste indépendant.
Cette contradiction interne éclate aujourd’hui au grand jour. Ce qui était une coopération de circonstance devient une lutte ouverte pour le contrôle territorial et les ressources.
Et les ressources, justement, ne manquent pas dans les zones conquises : champs pétrolifères, ports, routes commerciales. De quoi financer très concrètement un projet autonomiste.
Les frontières du passé ressuscitent
Ce qui rend l’opération particulièrement symbolique, c’est sa précision géographique. Les territoires pris correspondent presque trait pour trait à l’ancienne République démocratique populaire du Yémen du Sud, indépendante de 1967 à 1990.
Des décennies après l’unification, souvent perçue comme une annexion par les Sudistes, le vieux rêve resurgit avec une force nouvelle. Et cette fois, avec des moyens militaires et un soutien régional puissant.
Une trêve qui ne concerne plus le Sud ?
Depuis 2022, une trêve négociée par l’ONU a considérablement réduit les affrontements entre Houthis et forces gouvernementales. Mais cette accalmie concernait surtout le nord-ouest du pays.
Au Sud, les tensions n’ont jamais vraiment disparu. Et aujourd’hui, elles prennent la forme d’une sécession rampante, profitant du vide laissé par un pouvoir central affaibli et exilé à Riyad.
Vers un Yémen à plusieurs vitesses
La situation actuelle dessine trois Yémen bien distincts :
- Le nord-ouest contrôlé par les Houthis, avec Sanaa comme capitale de fait
- Le sud-est désormais sous influence totale du STC
- Quelques poches restantes sous autorité théorique du gouvernement reconnu
Cette fragmentation rend quasi impossible toute négociation nationale cohérente. Comment parler paix quand le pays n’a plus de carte commune ?
Les grandes puissances régionales à la manœuvre
Derrière ce bouleversement, on retrouve les rivalités entre grands acteurs régionaux. L’Arabie saoudite soutient historiquement le gouvernement reconnu, tandis que les Émirats arabes unis parrainent le STC depuis des années.
Cette divergence d’intérêts au sein même de la coalition anti-Houthis n’est pas nouvelle. Mais elle atteint aujourd’hui un point de rupture.
Les Émirats, qui ont réduit leur présence militaire directe, conservent une influence considérable via leurs protégés sudistes. Une stratégie qui leur assure un accès privilégié aux ports et aux ressources du Sud.
Quelles conséquences pour la population ?
Dans l’immédiat, la prise de contrôle s’est faite sans effusion de sang majeure. Mais à long terme, cette nouvelle division risque d’aggraver la catastrophe humanitaire.
Le Yémen reste le pays le plus pauvre de la péninsule arabique. 80 % de la population dépend de l’aide humanitaire. Toute nouvelle fracture complique encore l’acheminement de l’aide et la reconstruction.
Un processus politique en péril
Toutes les initiatives de paix menées sous l’égide de l’ONU reposaient sur l’idée d’un État yéménite unifié, même fédéral. L’émergence d’un Sud quasi-indépendant remet tout en question.
Les négociations futures devront-elles désormais inclure trois parties au lieu de deux ? Et comment concilier les aspirations sudistes avec celles d’un gouvernement qui refuse la partition ?
Et maintenant ?
La communauté internationale se trouve face à un dilemme. Condamner l’action du STC risquerait de couper les ponts avec un acteur qui contrôle désormais une large partie du territoire. L’ignorer reviendrait à entériner une sécession de fait.
Quant aux Yéménites, pris entre rêves d’indépendance, loyautés tribales et survie quotidienne, ils assistent une fois de plus à la réécriture de leur carte politique. Sans avoir été consultés.
Une chose est sûre : le Yémen d’aujourd’hui n’est déjà plus celui d’il y a une semaine. Et l’histoire, dans ce pays martyrisé, a rarement été clémente avec ceux qui croyaient la guerre terminée.









