Imaginez un sommet international où l’un des deux géants habituels manque à l’appel. L’espace vide laisse place à l’autre pour occuper pleinement la scène, dicter le ton et façonner l’agenda. C’est exactement ce qui s’est produit lors du dernier sommet de l’APEC en Corée du Sud.
Xi Jinping, Maître Incontesté de l’APEC 2025
Le président chinois a su transformer l’absence de Donald Trump en opportunité stratégique majeure. Parti précipitamment pour Washington après une rencontre bilatérale, le leader américain a cédé la lumière à son homologue chinois. Ce dernier a alors déployé une diplomatie offensive, alternant annonces, rencontres bilatérales et discours idéologiques.
Le contraste est saisissant. Là où les sommets précédents étaient souvent dominés par les tensions sino-américaines, cette édition a vu Pékin se poser en champion du multilatéralisme. Une inversion des rôles qui pourrait redessiner durablement les équilibres en Asie-Pacifique.
La Trêve Commerciale : Un Accord Historique
Jeudi, avant même l’ouverture officielle du sommet, Xi Jinping et le président américain se sont retrouvés pour leur premier face-à-face depuis 2019. L’enjeu ? Mettre fin à une guerre commerciale qui empoisonne les relations depuis des années.
Les deux parties ont conclu une trêve significative. Washington accepte d’abaisser certains droits de douane sur les produits chinois. En échange, Pékin lève les restrictions sur l’exportation de terres rares et s’engage à augmenter ses achats de soja américain.
Un accord pragmatique qui répond aux intérêts économiques des deux nations.
Cette détente, bien que temporaire, marque un tournant. Elle illustre la capacité de la Chine à négocier même sous pression, tout en conservant ses leviers stratégiques comme les terres rares, essentielles à de nombreuses industries high-tech.
Donald Trump, satisfait de cet accord, a quitté Gyeongju immédiatement après. Un départ qui a laissé le champ libre à Xi Jinping pour dominer les débats lors des jours suivants.
Le Discours sur le Multilatéralisme : Une Critique Voilée des États-Unis
Absent des sessions principales, le président américain a néanmoins été omniprésent dans les discours. Xi Jinping n’a pas manqué l’occasion de le viser indirectement. Lors de son intervention à la clôture du sommet, il a présenté la Chine comme le véritable défenseur du multilatéralisme.
Il a fustigé l’hégémonisme – une allusion transparente à la politique étrangère américaine. Un terme fort, chargé historiquement, qui résonne particulièrement dans la région Asie-Pacifique où de nombreux pays cherchent à éviter l’alignement forcé.
Cette rhétorique n’est pas nouvelle, mais elle prend une dimension particulière dans ce contexte. Avec Trump absent, Xi Jinping s’adresse directement aux autres leaders, leur proposant une alternative crédible à l’influence américaine.
Point clé : La Chine se positionne comme un partenaire stable et prévisible, contrastant avec les revirements politiques américains.
Shenzhen 2026 : La Chine Accueille le Prochain Sommet
Autre annonce majeure : la Chine accueillera le prochain sommet de l’APEC en 2026. La ville choisie ? Shenzhen, dans le sud du pays. Un symbole fort.
Shenzhen incarne la success-story chinoise. Passée d’un village de pêcheurs à une métropole technologique en quelques décennies, elle représente le modèle de développement que Pékin veut promouvoir. Accueillir l’APEC dans cette ville envoie un message clair : la Chine est l’avenir de l’Asie-Pacifique.
Cette décision renforce aussi l’influence régionale de la Chine. Elle place Pékin au centre des discussions économiques pour les années à venir, avec un contrôle accru sur l’agenda et la logistique du sommet.
Rencontres Bilatérales : Une Diplomatie Tous Azimuts
Au-delà des discours, Xi Jinping a multiplié les tête-à-tête. Chaque rencontre a été l’occasion de réchauffer des relations refroidies ou d’ouvrir de nouveaux chapitres diplomatiques.
Canada : Retour à la Normale Après 2017
Première rencontre officielle depuis 2017 avec un dirigeant canadien. Xi Jinping s’est entretenu vendredi avec le Premier ministre Mark Carney. Les relations sino-canadiennes avaient été gelées après l’affaire Meng Wanzhou et les tensions autour de Huawei.
Le leader chinois s’est dit prêt à remettre les relations sur la bonne voie. Il a même invité le chef du gouvernement libéral à se rendre en Chine. Un geste fort qui pourrait marquer la fin d’une période glaciale.
Ce réchauffement intervient dans un contexte où le Canada cherche à diversifier ses partenaires commerciaux face aux incertitudes américaines. La Chine, premier partenaire commercial du Canada après les États-Unis, redevient une option attractive.
Japon : Dialogue Franc Malgré les Tensions
Autre première : la rencontre avec la nouvelle Première ministre japonaise, Sanae Takaichi. Connue pour ses positions critiques envers la Chine, elle a pourtant affirmé vouloir une relation stratégique et mutuellement bénéfique.
Elle a toutefois précisé avoir abordé plusieurs sujets de friction dans un dialogue direct et franc. Parmi eux, sans doute les différends territoriaux en mer de Chine orientale et les questions de sécurité régionale.
Cette rencontre illustre la complexité des relations sino-japonaises : coopération économique indispensable, mais méfiance stratégique persistante. Le pragmatisme semble l’emporter, du moins temporairement.
Corée du Sud : Équilibre Délicat Entre Pékin et Washington
Le moment le plus attendu restait la rencontre de samedi avec le président sud-coréen Lee Jae Myung, élu en juin. C’est leur première entrevue. L’enjeu est considérable pour Séoul, qui marche sur une corde raide entre ses deux grands partenaires.
La Corée du Sud est à la fois le principal allié sécuritaire des États-Unis en Asie et fortement dépendante économiquement de la Chine. Cette semaine, elle a conclu un accord économique massif avec Washington pour réduire les droits de douane américains sur ses exportations.
Mais elle ne peut ignorer Pékin. Les relations s’étaient détériorées en 2016 avec le déploiement du système antimissile THAAD. La Chine avait réagi par des représailles économiques sévères : restrictions aux entreprises sud-coréennes, interdiction des voyages de groupe.
- Interdiction des séries TV sud-coréennes en Chine
- Boycott des marques comme Lotte
- Chute drastique du tourisme chinois en Corée
Ces mesures avaient coûté cher à l’économie sud-coréenne. Lee Jae Myung cherche aujourd’hui à apaiser Pékin tout en maintenant son alliance avec Washington.
L’alignement avec les États-Unis n’exclut pas un engagement économique pragmatique avec la Chine.
Seong-hyon Lee, chercheur au Centre Asie de Harvard
Le président sud-coréen veut une stabilité économique et un fondement plus prévisible dans les relations bilatérales. Un objectif partagé par de nombreuses nations de la région.
La Question Nord-Coréenne : Un Dossier Explosif
Les relations sino-coréennes ne se limitent pas au commerce. Elles passent aussi par Pyongyang. La Chine reste le principal soutien de la Corée du Nord, qui est techniquement toujours en guerre avec le Sud.
Lee Jae Myung prévoit d’évoquer les efforts pour la paix dans la péninsule. Un sujet sensible, surtout après les déclarations récentes de Pyongyang. L’agence d’État nord-coréenne a qualifié la dénucléarisation de rêve irréalisable, même après mille discussions.
Cette position ferme complique les efforts diplomatiques. Xi Jinping, en tant que principal allié de Kim Jong Un, joue un rôle clé. Toute avancée sur la paix passe nécessairement par Pékin.
| Acteur | Position | Enjeu |
|---|---|---|
| Corée du Sud | Paix et dénucléarisation | Sécurité nationale |
| Chine | Stabilité régionale | Influence sur Pyongyang |
| Corée du Nord | Refus de dénucléariser | Survie du régime |
L’APEC Comme Miroir des Nouveaux Équilibres Mondiaux
Ce sommet de Gyeongju révèle une tendance de fond. L’Asie-Pacifique n’est plus uniquement dominée par les États-Unis. La Chine y joue un rôle central, économique, diplomatique et idéologique.
L’absence de Trump a accéléré cette transition. Elle a permis à Xi Jinping de déployer une diplomatie tous azimuts, sans contre-pouvoir immédiat. Les autres leaders, du Canada au Japon en passant par la Corée du Sud, se sont adaptés à cette nouvelle donne.
Même les pays traditionnellement alignés sur Washington cherchent désormais un équilibre. Ils veulent bénéficier de la stabilité chinoise sans renier leurs alliances sécuritaires. Une équation complexe, mais inévitable.
Et Après ? Les Défis à Venir
La trêve commerciale sino-américaine est fragile. Elle dépend des humeurs politiques à Washington et des pressions internes en Chine. Rien ne garantit sa pérennité au-delà de 2026.
Les tensions régionales persistent. Mer de Chine méridionale, Taïwan, THAAD, différends territoriaux avec le Japon : autant de points chauds qui peuvent s’enflammer à tout moment.
Enfin, la question nord-coréenne reste entière. Tant que Pyongyang refusera la dénucléarisation, la paix dans la péninsule restera un objectif lointain. La Chine, malgré son influence, n’a jamais réussi à imposer une solution définitive.
À retenir : L’APEC 2025 marque un tournant. La Chine s’impose comme puissance incontournable en Asie-Pacifique, profitant des absences et des hésitations américaines pour façonner l’avenir régional.
Le sommet de Shenzhen en 2026 sera le prochain acte de cette pièce diplomatique. D’ici là, les équilibres auront peut-être déjà évolué. Mais une chose est sûre : Xi Jinping a pris date. Et il compte bien transformer cette lumière volée en influence durable.
Le monde regarde. L’Asie-Pacifique, laboratoire des relations internationales du XXIe siècle, continue d’écrire son histoire. Et pour l’instant, c’est en mandarin qu’elle semble s’écrire le plus clairement.









