Imaginez-vous sur la pelouse du stade Loujniki, 78 000 spectateurs, finale de Coupe du monde, la France en face… et vous n’avez plus de ligament croisé antérieur dans le genou droit depuis des mois. C’est pourtant l’histoire vraie de Sime Vrsaljko en juillet 2018.
Sept ans après, l’ancien latéral de l’Atlético Madrid et de l’Inter a décidé de raconter, sans filtre, ce qu’il a vécu pendant cette épopée croate historique. Et le moins que le récit d’un exploit, c’est celui d’un sacrifice absolu.
Un genou déjà condamné avant même le Mondial
Tout commence bien avant la Russie. En février 2018, lors d’un match avec l’Atlético, Vrsaljko sent son genou partir. Le diagnostic tombe : rupture du ligament croisé antérieur. À l’époque, deux choix s’offrent à lui : se faire opérer immédiatement et manquer la Coupe du monde, ou tenter de tenir avec des infiltrations et une attelle.
Il choisit la seconde option. Pas par inconscience, mais parce qu’une finale de Coupe du monde, « ça n’arrive qu’une fois dans une vie, peut-être jamais ».
« Je savais que si je me faisais opérer, c’était fini pour le Mondial. Je me suis dit que j’allais essayer de tenir. Pendant plus d’un an, j’ai joué sans ligament. »
Sime Vrsaljko, décembre 2025
Pendant toute la saison 2017-2018, il serre les dents. Il joue les serre encore plus quand Zlatko Dalic le convoque pour la Coupe du monde. Personne dans le staff croate n’imagine l’ampleur du problème. Lui non plus, pas complètement.
Le quart de finale contre la Russie : le moment où tout bascule
La Croatie arrive en quart contre le pays hôte. Prolongations. 1-1. Vrsaljko sprint pour couper une contre-attaque russe. Et là, catastrophe.
Son genou se bloque net. Il s’écroule. Il sent quelque chose « exploser » à l’intérieur. Les images font encore froid dans le dos : il reste au sol de longues secondes, le visage tordu de douleur, avant de se relever en boitant bas.
À ce moment-là, il comprend que le cartilage est touché, gravement. Mais l’Angleterre attend en demi-finale dans trois jours. Il prend une décision qui va marquer le reste de sa carrière.
« Mon genou s’est tout simplement bloqué. J’ai senti quelque chose de brutal à l’intérieur. Je devais décider : jouer la demi-finale ou arrêter là. Je n’ai même pas réfléchi. »
Des infiltrations tous les trois jours jusqu’à la finale
De retour à l’hôtel, les médecins croates lui proposent l’arrêt immédiat. Il refuse. On lui fait des infiltrations massives de corticoïdes et d’anesthésiants locaux. Tous les trois jours. Parfois tous les deux jours.
Contre l’Angleterre, il tient 120 minutes de plus. Contre la France en finale, encore 90 minutes. Il court, il tacle, il monte, il souffre en silence. À la 60e minute de la finale, il demande même le changement… mais revient finalement sur le terrain parce qu’Ivan Strinic est cramé de l’autre côté.
À la fin du match, quand Luka Modric soulève le bouclier de vice-champion du monde, Vrsaljko pleure. Pas seulement d’émotion. Surtout de douleur.
Les conséquences : six mois à l’Inter, puis l’arrêt
Après le Mondial, il signe à l’Inter Milan. Il joue encore six mois. Mais le genou est détruit. Le cartilage usé jusqu’à l’os, inflammation chronique, instabilité permanente. En 2019, à seulement 27 ans, il doit se faire opérer. Trop tard.
Il tente un retour à l’Atlético, puis à l’Olympiakos. Rien n’y fait. En 2022, à 30 ans, il annonce sa retraite sportive. Son corps ne suit plus.
« Je referais exactement la même chose »
Aujourd’hui, sept ans après, Vrsaljko n’a aucun regret. Aucun.
« Même si on m’avait dit que ce match allait raccourcir ma carrière de cinq ans, j’aurais fait exactement la même chose. C’était ma décision et je l’assume à 100 %. J’étais fou de joie de jouer une demi-finale, puis une finale de Coupe du monde. Rien d’autre ne comptait. »
Il va même plus loin : il dit qu’il aurait accepté de ne plus jamais remarcher normalement pour vivre ces moments.
Un sacrifice qui interroge le football moderne
L’histoire de Vrsaljko pose une question brutale : jusqu’où un joueur est-il prêt à aller pour un rêve collectif ? Dans le football d’aujourd’hui, hyper médicalisé, où la longévité rime avec rentabilité, son choix paraît presque anachronique.
Pourtant, il n’est pas isolé. On pense à Ledley King qui jouait sans ligament croisé à Tottenham, à Abou Diaby et ses chevilles en miettes, à Vincent Kompany qui enchaînait les infiltrations à Manchester City.
Mais peu sont allés aussi loin que le Croate en finale de Coupe du monde.
| Joueur | Blessure cachée/jouée | Compétition | Conséquence |
|---|---|---|---|
| Sime Vrsaljko | Sans LCA + cartilage détruit | Finale Mondial 2018 | Retraite à 30 ans |
| Ledley King | Sans LCA les deux genoux | Carrière à Tottenham | Retraite à 31 ans |
| Alan Smith | Jambe + genou disloqué | FA Cup 2006 | Jamais retrouvé son niveau |
L’héritage d’un guerrier discret
Aujourd’hui, Sime Vrsaljko vit tranquillement en Croatie. Il regarde les matchs, donne parfois des interviews, profite de sa famille. Il n’a pas cherché la lumière après 2018. Il n’a pas monnayé son histoire.
Mais en racontant enfin ce qu’il a traversé, il offre au football l’un des témoignages les plus puissants sur le sens du sacrifice. Pas celui des réseaux sociaux ou des documentaires Netflix. Le vrai. Celui qui fait mal.
Et quelque part, quand on revoit les images de cette finale, on comprend mieux pourquoi la Croatie, petit pays de quatre millions d’habitants, a réussi l’impossible cet été-là.
Parce qu’elle avait des joueurs prêts à tout.
Même à ne plus jamais être les mêmes ensuite.









