Située à seulement cinq kilomètres de la frontière russe, la petite ville ukrainienne de Vovtchansk a payé un lourd tribut depuis le début de l’invasion russe en février 2022. Après avoir été brièvement occupée puis libérée à l’automne, elle est devenue la cible d’un déluge de feu d’une intensité rarement vue. En l’espace de quelques semaines, Vovtchansk a été presque entièrement rasée, ne laissant derrière elle qu’un paysage apocalyptique de ruines et de décombres.
Une ville sans histoire victime de sa géographie
Avant la guerre, Vovtchansk était une cité paisible d’environ 20 000 habitants, fière de son riche patrimoine avec ses écoles, ses usines, son hôpital flambant neuf. Mais sa proximité avec la frontière russe aura été son malheur. Lorsque les forces de Moscou lancent une offensive majeure le 10 mai 2024, la ville se retrouve en première ligne, mal défendue et livrée à elle-même.
Ce qui s’est passé à Bakhmout en deux à trois mois a pris seulement deux à trois semaines à Vovtchansk.
Lieutenant Denys Yaroslavsky
Un déluge de feu et de fer
Les 4000 civils restés sur place malgré les menaces basculent en enfer. Immeuble après immeuble, les obus russes s’abattent sans relâche, transformant le centre-ville en un champ de ruines. Les habitants terrifiés se terrent pendant des jours dans des caves insalubres, sans électricité ni eau courante. Beaucoup périssent sous les bombes ou sont tués par des tireurs embusqués en tentant de fuir ce qui est devenu l’épicentre des combats.
D’après une analyse d’images satellite, 60% de Vovtchansk était entièrement détruite fin septembre et 18% partiellement. Un bilan encore plus lourd que celui de Bakhmout, autre ville martyre où les affrontements ont duré des mois. En quelques semaines, Vovtchansk a été rayée de la carte, n’existant plus que dans la mémoire de ses survivants.
L’exode et le deuil des habitants
Ceux qui ont réussi à s’échapper ont tout perdu. Comme Viktor et Galyna, qui ont vécu terrés dans une cave avant de fuir à pied sous les tirs des drones. Ou Raïssa, dont le mari et la belle-mère ont été abattus en tentant de quitter la ville en voiture. Tous se sont réfugiés à Kharkiv, hantés par les bombes et endeuillés, espérant un jour pouvoir enterrer dignement leurs morts.
Car le pire reste l’incertitude sur le sort des proches restés là-bas. Kira, une médecin, suppose que sa mère de 85 ans a péri dans sa petite maison, détruite comme le confirment des images satellites. Combien d’autres civils ont connu le même destin ? Personne ne le sait vraiment. Des dizaines sans doute, qui auraient été jetés dans une fosse commune à la faveur d’une trêve.
Le symbole d’un pays déchiré
Plus que les ruines et la mort, Vovtchansk incarne aussi le déchirement d’un pays où tant de familles sont désormais séparées par un conflit fratricide. Ici, comme dans tout l’est de l’Ukraine, Russes et Ukrainiens étaient étroitement liés, partageant une langue et une culture communes. Mais la guerre a dressé voisins contre voisins, parents contre enfants, à l’image de Kira et de son frère, partisan de Poutine resté à Belgorod de l’autre côté de la frontière.
Il y a beaucoup de familles mélangées. Parents, enfants, nous sommes tous liés. Et maintenant nous sommes devenus des ennemis.
Nelia Stryjakova, ancienne bibliothécaire
Même si les combats finissent par s’éloigner, l’avenir de Vovtchansk semble bien sombre. Comment reconstruire sur un tel champ de ruines ? Comment pardonner l’inhumanité d’une telle destruction ? Pour Raïssa, qui a perdu son mari, le doute subsiste : “En tant que chrétienne oui mais en tant qu’être humain… Que dire ?”
Vovtchansk n’est hélas que l’un des nombreux symboles des ravages de cette guerre qui déchire l’Ukraine depuis 2022. Un conflit cruel qui sème la mort et la désolation, déchire les familles et hypothèque l’avenir de toute une région. La petite ville frontière, autrefois sans histoire, restera à jamais synonyme de souffrance et de destruction aveugle, témoignage poignant des horreurs qu’engendre la folie des hommes.