Imaginez-vous au travail, tôt le matin, le ventre vide. Vous passez devant le réfrigérateur commun, vous prenez un petit gâteau et un biscuit pour calmer la faim. Rien de bien méchant. Et pourtant, deux ans plus tard, vous êtes toujours dans un tribunal.
C’est exactement ce qui est arrivé à un ouvrier sous-traitant en Corée du Sud. Une histoire qui semble sortie tout droit d’un roman du XIXe siècle, mais qui s’est déroulée en 2024 et 2025.
Un « vol » à 1 050 wons qui a fait trembler la justice
Tout commence dans une entreprise de logistique. L’homme, employé par une société sous-traitante, travaille dur. Un matin, la faim le tenaille. Il ouvre le réfrigérateur de l’entreprise et se sert : une pâtisserie à la crème et un Choco Pie, ce biscuit fourré très populaire dans le pays.
Le montant total du « larcin » ? 1 050 wons. À peine 62 centimes d’euro.
Mais pour l’entreprise, les règles sont les règles : ce frigo est réservé aux salariés permanents. Les sous-traitants, eux, n’ont pas le droit d’y toucher sans autorisation explicite. Plainte est donc déposée.
Une procédure qui aurait dû être anodine
Le parquet, conscient de la faiblesse du dossier, opte pour une procédure sommaire, rapide et légère. L’affaire aurait pu se régler avec une simple amende symbolique, voire un classement sans suite.
Mais l’ouvrier refuse de plaider coupable. Il clame son innocence : il pensait avoir le droit, comme tant d’autres. Il exige un vrai procès.
Ce choix va transformer une broutille en marathon judiciaire de près de deux ans.
Première instance : condamné à payer 50 fois le prix des gâteaux
Le tribunal de première instance ne fait pas dans la dentelle. L’homme est reconnu coupable de vol. Amende : 50 000 wons. Près de cinquante fois la valeur des deux friandises.
Pour beaucoup, cette décision est déjà disproportionnée. Mais l’ouvrier ne lâche pas. Il fait appel.
« Il avait juste eu faim tôt un matin. »
Maître de l’ouvrier, à la sortie du tribunal
L’appel qui a tout changé
En appel, la donne change radicalement. Le tribunal de Jeonju, dans l’ouest du pays, examine les faits sous un nouveau jour.
Premier élément décisif : il existait bel et bien une tolérance informelle. Les sous-traitants avaient l’habitude de se servir dans le frigo quand la faim se faisait sentir. Une pratique connue et jamais réprimée jusqu’à ce jour fatidique.
Deuxième élément, et pas des moindres : trente-neuf autres sous-traitants viennent témoigner. Tous avouent ouvrir régulièrement le réfrigérateur sans demander la permission. Tous confirment que personne ne leur a jamais rien reproché.
Face à ces déclarations concordantes, la cour d’appel conclut qu’il est impossible de prouver une intention criminelle. L’homme est acquitté purement et simplement.
Pourquoi cette affaire a bouleversé la Corée du Sud
Dès les premiers articles, les réseaux sociaux s’enflamment. Les syndicats dégainent la comparaison qui tue : l’ouvrier devient le « Jean Valjean coréen ».
Dans Les Misérables de Victor Hugo, Jean Valjean est condamné à cinq ans de bagne pour avoir volé une miche de pain afin de nourrir les enfants de sa sœur. Deux siècles plus tard, un homme risque sa réputation et passe deux ans devant les tribunaux pour un biscuit.
La parallèle est saisissante. Et elle touche une corde sensible dans une société où la pression au travail est extrême et où les sous-traitants sont souvent considérés comme des citoyens de seconde zone.
Les sous-traitants, grandeurs et misères d’un système
En Corée du Sud, le recours massif à la sous-traitance est une réalité économique. Il permet aux grandes entreprises de rester flexibles et compétitives. Mais il crée aussi une fracture nette entre salariés permanents et travailleurs précaires.
Accès aux cantines, aux repos, aux équipements… tout peut devenir source de discrimination. Un simple réfrigérateur devient alors le symbole d’une hiérarchie invisible mais bien réelle.
Cette affaire a mis en lumière, une fois de plus, la précarité de ces travailleurs de l’ombre.
Une victoire symbolique plus grande que l’acquittement
L’acquittement a été salué comme une immense victoire. Pas seulement pour l’ouvrier concerné, mais pour tous ceux qui, chaque jour, travaillent dans l’ombre des grandes entreprises.
Les trente-neuf témoins ont joué un rôle déterminant. Leur courage collectif a permis de faire éclater la vérité : ce n’était pas un vol isolé, mais une pratique tolérée depuis des années.
Ce front commun a montré qu’ensemble, les plus précaires peuvent faire plier un système.
Et maintenant ?
L’entreprise n’a pas souhaité commenter l’acquittement. On ignore si elle a modifié ses règles concernant le réfrigérateur ou les sous-traitants en général.
Mais une chose est sûre : cette histoire restera gravée dans les mémoires. Elle continuera d’alimenter les débats sur la justice, sur le travail, sur la dignité.
Parce qu’au fond, ce n’était pas une affaire de 62 centimes. C’était une affaire de respect.
En résumé :
- Un ouvrier sous-traitant mange deux gâteaux valant 1 050 wons
- L’entreprise porte plainte pour vol
- Près de deux ans de procédure judiciaire
- Condamné en première instance à 50 000 wons d’amende
- Acquitté en appel grâce au témoignage de 39 collègues
- L’affaire devient le symbole de l’absurdité judiciaire et de la précarité des sous-traitants
Parfois, les plus petites affaires sont celles qui révèlent les plus grandes vérités sur une société.
Et vous, auriez-vous eu le courage de refuser une amende pour 62 centimes et d’aller jusqu’au bout, deux années durant ?









