Imaginez : vous êtes en prison, votre téléphone est saisi par l’administration pénitentiaire, et quelques semaines plus tard vous vous rendez compte que près d’un million de dollars en cryptomonnaies se sont évaporés dans la nature. C’est exactement ce qui serait arrivé à un détenu de la maison d’arrêt de Corbas, près de Lyon.
Un million de dollars en fumée derrière les barreaux
L’histoire semble sortie d’un scénario hollywoodien, et pourtant elle s’est déroulée en toute discrétion dans le quartier des détenus provisoires de Corbas. Un jeune homme de 29 ans, originaire de Haute-Savoie, condamné pour un impressionnant trafic international de stupéfiants, a porté plainte pour le vol d’environ 900 000 euros en bitcoins.
Le timing est particulièrement troublant : le prétendu vol aurait eu lieu immédiatement après la saisie de son téléphone portable, le 1er janvier 2022, alors qu’il se trouvait en détention provisoire.
Un trafic international qui rapportait gros
Avant d’atterrir en prison, le jeune homme faisait partie d’une famille entière impliquée dans un réseau d’exportation de drogue vers les États-Unis, l’Australie et même Taïwan. Lors de son procès, il a écopé de cinq ans de prison, dont deux ans et demi avec sursis probatoire, et 60 000 euros d’amende.
Son explication pour justifier l’origine des bitcoins volés est pour le moins originale : il affirme avoir racheté pour 35 000 dollars un compte complet de trafiquant sur le darknet. Ce compte comprenait, selon lui, toute la clientèle et les fournisseurs du précédent propriétaire. Une sorte de fonds de commerce 2.0, version cryptée.
Mais il jure également que les cryptomonnaies disparues n’ont rien à voir avec la drogue. Elles proviendraient, dit-il, d’investissements personnels réalisés bien avant son arrestation.
Comment vole-t-on des bitcoins en prison ?
C’est la grande question que tout le monde se pose. Un portefeuille de cryptomonnaies est normalement protégé par une seed phrase (suite de 12 ou 24 mots) ou par un code PIN. Pour vider un wallet, il faut soit accéder physiquement au téléphone déverrouillé, soit récupérer cette phrase secrète.
Plusieurs hypothèses circulent :
- Le téléphone aurait-il été allumé et déverrouillé lors de la saisie ?
- Un surveillant ou un autre détenu aurait-il eu accès à l’appareil avant scellé ?
- La seed phrase était-elle notée quelque part dans la cellule ?
- Ou pire : le détenu aurait-il été victime d’un sim swapping ou d’une attaque depuis l’extérieur, coordonnée depuis la prison ?
Aucune de plus en plus de cas similaires dans le monde : des trafiquants se font dépouiller de leurs cryptos dès leur incarcération, comme si certains attendaient précisément ce moment de vulnérabilité.
Une information judiciaire ouverte
L’avocat du détenu a réussi à faire entendre cette plainte insolite devant le tribunal. Une information judiciaire pour vol aggravé et accès frauduleux à un système de traitement automatisé de données a été ouverte.
Les enquêteurs vont devoir déterminer si le vol a eu lieu à l’intérieur de la prison (par un surveillant, un codétenu, un proche en visite) ou à l’extérieur avec la complicité de quelqu’un à l’intérieur.
« Mon client a fourni tous les éléments prouvant que ces bitcoins étaient issus d’investissements légitimes antérieurs à toute infraction », a déclaré son conseil au procès.
La cryptomonnaie, nouvelle cible des voleurs en prison
Ce n’est pas un cas isolé. Depuis quelques années, les parquets constatent une recrudescence de plaintes déposées par des détenus pour disparition de cryptomonnaies. Les sommes en jeu atteignent parfois plusieurs millions d’euros.
Le phénomène est même surnommé le « jail drain » dans les milieux spécialisés : dès qu’un gros porteur de crypto est incarcéré, son portefeuille devient une cible prioritaire.
Certains détenus vont jusqu’à cacher leur seed phrase dans des tatouages, dans des livres, ou à la confier à des proches avant arrestation. Mais quand le téléphone est saisi sans précaution, tout peut basculer en quelques minutes.
Les leçons à tirer pour les détenteurs de crypto
Cette affaire, aussi rocambolesque soit-elle, rappelle quelques règles de base en matière de sécurité des cryptomonnaies :
- N’utilisez jamais votre téléphone principal pour stocker de grosses sommes.
- Préférez un hardware wallet (Ledger, Trezor) conservé hors ligne.
- Ne notez jamais votre seed phrase sur votre téléphone ou dans votre cellule.
- En cas de risque d’arrestation, transférez vos avoirs vers un wallet multisignature ou chez un tiers de confiance.
- Activez toujours le whitelisting d’adresses sur vos comptes exchange.
Beaucoup de trafiquants l’ont appris à leurs dépens : en prison, votre pire ennemi n’est pas toujours celui qui partage votre cellule, mais celui qui a accès à douze mots.
Vers un renforcement des procédures de saisie ?
Cette affaire pourrait faire jurisprudence. L’administration pénitentiaire va-t-elle devoir modifier ses protocoles de saisie de téléphones ? Doit-on systématiquement forcer l’extinction et placer les appareils sous scellés immédiats, sans jamais les rallumer ?
Certains avocats demandent déjà que tout téléphone saisi contenant des cryptomonnaies soit traité comme un coffre-fort bancaire, avec huissier et double scellé.
En attendant, l’enquête se poursuit. Le détenu, lui, continue de purger sa peine, un peu plus léger de 900 000 euros, mais bien décidé à faire la lumière sur cette disparition aussi mystérieuse que coûteuse.
Une chose est sûre : en 2025, même derrière les murs d’une prison française, l’argent numérique n’est jamais totalement à l’abri. Et parfois, le vrai hold-up ne se passe pas dans la rue… mais dans l’ombre d’une cellule.
